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  • Par cet article, je voudrais partager les éléments retrouvés pour ce qui a été une terrible épreuve pour mon grand-père paternel, d’être déporté dans des camps de travail comme pour près de 1,6 millions de prisonniers français. A l’issue de cette longue période de 6 années dans des camps en Autriche, une épreuve supplémentaire l’attendait :  libéré en avril 1945 par l’armée russe qui au lieu de le rapatrier vers l’ouest, l’a emmené plus loin vers l’est dans un long périple insensé à travers l’Europe centrale puis de l’Est (Autriche, Hongrie, Roumanie, Ukraine, Pologne et Biélorussie) pour atteindre Minsk.  

    Lors du début de la Seconde Guerre mondiale, Frederic HUET est mobilisé dès le 27 aout 1939 lorsqu’il avait déjà environ 37 ans (marié à 23 ans). Il avait alors 2 enfants, Roger (12 ans) et Madeleine (8 ans). Grade: caporal. Du fait de son âge, il a été incorporé dans le régiment régional 91ème R.R., qui est un régiment de réserve de l’armée de terre française, formé de soldats âgés, chargé de garder les lignes arrière, à l’image de l’infanterie territoriale de la Grande Guerre. 

    Photo de Frédéric probablement avant la guerre :

    Débute la « drôle de guerre » jusqu’à l’offensive allemande le 5 mai 1940. Le 10 juin, le front est percé sur la Somme. Les Allemands prennent Paris le 14 juin, puis Orléans le 16 juin.  Il est fait prisonnier le 27 juin 1940 à Lencloitre (département de la Vienne – proche de Châtellerault – lors de surveillance de voies ferrées selon son fils Jocelyn) matricule 1711.

    Il est ensuite déporté le 6 Janvier 1941 vers le stalag (abréviation of Stammlager, camp pour) XVIIA à Kaisersteinbruch à coté de Vienne (Autriche, matricule 4407 (Kommandos 61338,  114 410,   A67G Sittendorf). Un stalag, abréviation de Stammlager « camp de base de prisonniers de guerre », désigne un site destiné à détenir les soldats de rang et leurs sous-officiers. Camp de prisonniers, établi en Allemagne ou dans les pays occupés pendant la Seconde Guerre mondiale.

    Selon son carnet, il a écrit : « on est arrivé au campement en Autriche le 10/01/41, on a été 8 jours, après ils nous ont emmenés pour travailler sur les autoroutes. Après ils nous ont emmenés à Vienne pour travailler en usine”. Il a donc dans un premier temps, participé alors à la construction de ce qui est aujourd’hui l’autoroute A21 à Sittendorf à une dizaine de kms au sud-ouest de Vienne, puis transféré dans une usine dans un quartier sud de Vienne, probablement dans le cadre de ce qu’on appelle un kommando de travail.

    Chaque camp était constitué d’un camp central et de kommandos de travail pouvant grouper de quelques hommes (fermes agricoles) jusqu’à plusieurs centaines (chantiers, usines, mines). Neuf prisonniers sur dix étaient utilisés dans les kommandos de travail.

    Stalag XVII A Construction d’une autoroute 

    Kaisersteinbruch  est un petit village situé à quelques kilomètres au sud de Brück et nommé : “la carrière de pierres de l’empereur”. C’était un joli village du Burgenland, serré autour d’une petite église baroque mais, malheureusement, flanqué à l’est d’un horrible camp de prisonniers avec miradors et barbelés.

    En janvier 1941FrancaisBelgesPolonaisTotal
    Officiers97000970
    Soldats et Sous-officiers65.4415.6422.50073.583
    Civils1464232220

    En raison du grand nombre de prisonniers de guerre décédés lors de l’hiver 1941-1942, un cimetière de camp avec des fosses communes fut construit à quelques centaines de mètres du camp. Le traité d’État du 15 mai 1955 mentionne 9 584 soldats soviétiques décédés, qui étaient les plus mal traités par les Allemands.

    Les années suivantes, le nombre de détenus oscille entre 25.500 et 53.000. En février 1945, le rapport de contrôle de l’IRKR fait état d’un total de 26.470 prisonniers.

    Noel 1940 photo prise dans le réfectoire du Stalag XVII A de Kaisersteinbruch

    Récit fait par un prisonnier de ce camp Stalag XVII A:

    « Très vite, la famine s’installa, touchant surtout ceux qui, comme moi, ne recevaient que très peu, sinon pas du tout, de colis. Certaines familles, plus au courant que d’autres, avaient réagi très vite et expédié à “leur” prisonnier des colis de victuailles sans lesquelles il n’était guère possible de survivre. Bien entendu, les plus favorisés aidaient les autres mais cela ne pouvait aller très loin car, comment s’intégrer à une “popote” convenablement ravitaillée lorsque l’on n’a rien à apporter, ce qui était mon cas.

    Comme la plupart de jeunes du camp, je souffrais terriblement de la faim; j’avais beaucoup maigri, ma tension était probablement très basse car je devais faire attention aux vertiges qui me prenaient lorsque je passais de la position couchée à la position verticale et d’ailleurs, comment en aurait-il été autrement avec le régime alimentaire qui nous était octroyé?

    LE MATIN: un verre de décoction d’orge baptisé” “café”.

    A MIDI: un demi-litre d’eau chaude où traînaient, çà et là, quelques morceaux de rutabaga et quelquefois, miracle, un morceau de pomme de terre!

    LE SOIR: un pain militaire pour cinq ou pour six, selon les jours, soit la valeur de trois ou quatre tranches, accompagné d’une cuillère de mélasse, ou de margarine, ou d’un petit morceau de fromage assez mauvais. 

    Les rations alimentaires étaient maigres, au Stalag XVII A. Elles s’établissaient ainsi par homme et par semaine : 2425 grammes de pain ; 250 grammes de viande ; 2800 grammes de pommes de terre ; 150 grammes de farine ; 175 grammes de sucre ; quant aux légumes, cela variait en fonction des arrivages. Le menu type se composait d’une ration de pain journalière donnée le matin, d’une soupe dite « La Grayette » pour le midi, composée de pommes de terre et de rutabagas non épluchés, agrémentée d’orties. Dans ce brouet terreux, quelques cartilages figuraient la viande, le tout distribué dans des sceaux de 20 litres. Le soir, les prisonniers recevaient une nouvelle décoction appelée officiellement « Café » avec un cube de margarine synthétique.

    « C’était même parfois tellement mauvais qu’une crise de foie vous évitait de souffrir de la faim pendant un ou deux jours. Pour moi, la dominante de cette période a certainement été LA FAIM et je crois pouvoir dire que j’ai souffert de la faim pendant deux ans et que je ne pouvais penser qu’à ça. D’ailleurs, très vite, et surtout parmi les jeunes, apparurent des cas de tuberculose pulmonaire à développement rapide que l’on appelait, à l’époque “phtisie galopante”. Dès que le médecin du camp avait posé le diagnostic, le jeune garçon était expédié vers la France où, en général, il n’arrivait pas vivant. Les cas étaient de plus en plus nombreux et tous étaient mortels. » »

    De cette période, Frederic a gardé quelques photos avec ses camarades qui le surnomment « papy », on espère affectueusement :  quadragénaire, il a, en effet, quasiment le double de l’âge de ses camarades.  

    D’après ce qu’on retrouve, il semble qu’il ne soit pas resté longtemps dans le campement même du Stalag XVIIA et qu’il n’a pas forcément connu très longuement ces conditions d’enfermement dans ces baraquements décrites ci-dessous.  Ainsi, d’après quelques traces (écrits sommaires dans son carnet et quelques documents ci-dessous), il semble qu’il soit parti rapidement ce de camp pour être affectaté à des  travaux d’autoroute qui ont lieu en 1941. Ensuite, il a été affecté dans une usine autrichienne Saurerwerke AG à Vienne (fondée en 1906, la société est un important constructeur de véhicules utilitaires qui fabriquait des camions et des bus de 1906 à 1969) et y est resté vraisemblablement jusqu’en avril 1945. 

    Les halls de l’usine Saurerwerke étaient situés au 22 Haidestraße/Oriongasse, dans le 11e arrondissement. Ils existent encore aujourd’hui. Les anciens locaux de l’usine sont utilisés par la société LGV Frischgemüse Wien reg. Gen.m.b.H., qui y a également ajouté de nouveaux bâtiments.


    Kommandos
    nombre de Françaiseffectif maximum des détenusdates d’ouverture et de fermetureactivités des Kommandos et entreprises utilisatrices de la main d’œuvre
    42WienSaurer-Werke701 48011/10/43 – 03/05/45Usine d’armement (Saurer-Werke AG)

    Camps & Kommandos – MAUTHAUSEN

    Lors de la reception de cette carte postale adressée en allemand le 1 juillet 1943, son affectation est toujours l’usine Sauer Werk à Vienne.  Carte postale d’un germanophone en vacances de Karntin dans le sud de l’Autriche (la Carinthie) lui adressant ainsi qu’à ses « camarades connus » ses salutations de vacances.

    Ensuite, Fréderic a conservé une carte métallique en bon état, sur laquelle on peut lire que le 20/12/1944, il travaille à Vienne-Simmering dans l’usine Österreichische Saurerwerke AG) comme perceur (montrant un manque de bonne volonté d’après les très rares témoignages laissés oralement à son fils Jocelyn).

    À partir de l’été 1944, la situation a dû se dégrader brusquement pour Frédéric puisque l’entreprise emploie non seulement des travailleurs forcés civils mais aussi des prisonniers du camp de concentration de Mauthausen (qui était l’un des camps les plus sévères et des plus violents. Les conditions de travail étaient jugées particulièrement dures même selon les standards des camps de concentration). Le manque de main d’œuvre à la fin de la guerre (un nombre croissant d’Allemands était mobilisé dans la Wehrmacht) peut expliquer ce mélange qui a dû être très marquant d’être confronté aux destins bien plus tragiques des prisonniers du camp de concentration.

    Le 20 août 1944, le « camp satellite Saurerwerke » fut créé dans le quartier Simmering (11e arrondissement) de Vienne. Le premier convoi de Mauthausen transportait environ 140 prisonniers, qui furent hébergés dans un camp de baraques situé aux portes de l’usine, qui avait auparavant servi à détenir des civils et des prisonniers de guerre (dont Frédéric). Ainsi le nombre de prisonniers du sous-camp de Saurerwerke est passé de 150 à 1 000 ; deux mois plus tard, 1 391 personnes étaient détenues dans le camp. Fin février et début mars 1945, le nombre de prisonniers a atteint son maximum avec 1 480 personnes. La plupart des hommes étaient classés comme prisonniers « politiques». Ils venaient d’Allemagne, de France, de Grèce, d’Italie, de Yougoslavie, d’Autriche, des Pays-Bas, de Belgique, d’Espagne, du Luxembourg, de Pologne, d’Union soviétique, de Tchécoslovaquie et de Hongrie ; il y avait également plusieurs prisonniers juifs parmi eux. Le commandant du camp était Franz Kalteis, originaire de Vienne, qui avait été envoyé à Simmering depuis Mauthausen à l’initiative de l’organisation clandestine de résistance des prisonniers du camp de concentration. À la Saurerwerke également, une organisation clandestine de prisonniers s’est formée, composée de représentants de toutes les nations et de tous les courants (politiques) du camp. Elle a été mise en place et dirigée par Walter Ehlen (fonctionnaire de l’Association communiste allemande de la jeunesse).

    Travail forcé

    Avant l’Anschluss (annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie), l’usine Saurerwerke était spécialisée dans la fabrication de véhicules à chenilles et de camions et elle poursuivit sa production sous le régime nazi. Les prisonniers étaient uniquement affectés à la production de camions de transport de chars. Ils travaillaient dans le hall C de l’usine 2 (dont les fenêtres avaient été barricadées et où des murs supplémentaires avaient été construits). Les locaux de l’usine étant devenus trop petits, deux grandes salles situées au sous-sol du château voisin de Neugebäude furent également utilisées comme halls de production jusqu’en mars 1945. Les survivants rapportèrent plus tard qu’ils avaient souvent bénéficié de manifestations de solidarité de la part de travailleurs civils autrichiens et étrangers. À part cela, les conditions de travail étaient toutefois très dures. 40 prisonniers moururent dans le camp. Dix-sept autres ont perdu la vie dans le « camp infirmerie » après avoir été ramenés au Stalag de Mauthausen.

    Garde

    Le SS-Hauptsturmführer (chef d’assaut) Johann Gärtner était le commandant du camp ; le SS-Oberscharführer (chef d’escouade) Karl Kleine dirigeait le camp de détention préventive, et le SS-Oberscharführer Gerhard Wittkowski était le chef de service. Quatre officiers SS de Mauthausen, 46 sergents SS et 85 membres d’équipage SS étaient chargés de la garde des prisonniers.

    A la fin de la guerre à la fin mars 1945, l’Armée rouge venant de Hongrie, est en marche se rapprochant rapidement chaque jour davantage du camp. L’ordre est donné, comme dans tous les camps d’évacuer les détenus vers l’ouest entre fin mars et début avril, afin de les transférer dans un camp de prisonniers encore difficile à atteindre pour les troupes soviétiques.

    Franz Kalteis, prisonnier venant du camp de concentration de Mauthausen a, en tant que doyen du camp, assuré une rôle de représentation des prisonniers. Fin mars 1945, il lutta avec le commandant du camp, le SS-Hauptsturmführer Johann Gärtner, pour la vie de 190 prisonniers malades qui, selon un ordre central du commandant du camp de Mauthausen, devaient être assassinés avant l’évacuation des camps annexes. Franz Kalteis nous raconte ces heures :

    « Tard dans la soirée du dernier jour de mars, je fus convoqué chez le commandant du camp, Gärtner, où une discussion dramatique s’engagea.

    Gärtner, complètement désemparé, me demanda immédiatement combien de personnes étaient inaptes à la marche, c’est-à-dire malades. Comme je devinais facilement le contexte, j’exagérai le nombre et lui expliquai qu’environ 180 prisonniers ne seraient pas capables de supporter une longue marche à pied… À ce moment-là, j’expliquai calmement et sereinement à Gärtner que la guerre était perdue, soutenu par le grondement discret des canons. Je lui dis qu’en tant que Viennois, lui seul ne pouvait tuer près de 200 personnes ici, en pleine ville, sans que des milliers de témoins ne le tiennent responsable plus tard. Bref, je réussis à convaincre le commandant du camp d’accepter que les prisonniers souffrant de plaies aux pieds et autres maladies soient laissés sans gardes au camp. »

    Le 1er avril, des préparatifs furent entrepris pour l’évacuation du camp. Le lendemain, 1 276 prisonniers furent envoyés en marche d’évacuation en trois colonnes (dirigées par les SS-Oberscharführer Karl Kleine, Josef Plehar et Gerhard Wittkowski),. De Simmering, ils traversèrent Purkersdorf, St. Pölten, Man, Scheibbs, Gresten, Randegg et Seitenstetten jusqu’à Steyr. De nombreux prisonniers furent abattus par les SS pendant la marche et plusieurs moururent d’épuisement. 25 prisonniers réussirent à s’échapper. Le 23 avril 1945, 1 076 prisonniers arrivèrent au sous-camp de Steyr-Münichholz. Une semaine plus tard, le 30 avril, 497 d’entre eux furent transférés au Stalag de Mauthausen.

    190 prisonniers incapables de marcher furent abandonnés au camp de Saurer-Werke, parmi lesquels des prisonniers originaires d’Allemagne, de France, de Grèce, d’Italie, d’ex-Yougoslavie, des Pays-Bas, de Pologne, d’ex-Union soviétique, de République tchèque et de Hongrie. 33 d’entre eux étaient juifs. Ils furent libérés par les troupes soviétiques le 8 avril 1945. 

    Il est plus que vraisemblable que Frederic a fait partie de ces 190 prisonniers incapables de marcher dont le destin a failli basculer vers une fin tragique à la fin de la guerre. Libérés par l’armée russe qui au lieu de le rapatrier à l’ouest, les ont emmené vers l’est dans un périple à travers l’Europe (Autriche, Hongrie, Roumanie, Ukraine, Pologne) pour atteindre la Biélorussie.  

    On retrouve dans son carnet le départ de Vienne le 8 avril 1945 (tout en haut, écriture légement effacée).  Et puis, on a retrouvé une liste d’une trentaine de noms de lieux, qui étaient d’origine germanique, hongrois, roumains puis slave. Reconstituant cette liste sur googlemap, on s’aperçoit que cela constitue un chemin menant d’Autriche jusqu’en Biélorussie.  

    Durant les mois d’avril et mai 1945, ils font ce parcours en train et à pied d’après des témoignages d’autres camarades d’infortune ayant écrit leur périple. « Ils cueillent sur le bord de la route de l’oseille et des feuilles de frênes pour faire de la soupe. Ils sont dirigés à pied vers Budapest par les russes, leurs ballots dans des charrettes tirées par des bœufs. Mais dans cette capitale, ils furent livrés à eux-mêmes.Les officiers français prirent leurs soldats en main, disciplinés, en rang. Ils contactent les officiers russes qui leur indiquent une caserne où ils se reposent et se restaurent. Ensuite, ils prennent le train pour Odessa. »

    Il faut imaginer des nombreux transferts en train, à pied ou en camion vu l’état désastreux des infrastructures ferroviaires et routières à la sortie de la guerre.

     Dans son carnet toujours, on retrouve des étapes avec des dates  :Wien le 8 avril, Sopron (Hongrie) arrivé le 16 avril et reparti le 29 avril. Szombathely (Hongrie), Sarvar, (Hongrie), Celldömölk (Hongrie), Veszprém (Hongrie) arrivé le 2 mai reparti le 20 mai, Székesfehérvár  (Hongrie), Martonvásár  (Hongrie), Budapest,

    “Királyháza (Hongrie ou Ukraine?) 4 jours du 28 au 31 (mai).

    Passé dans les Karpatte le samedi au dimanche au midi, le lundi, on a passé un vrai désert, arrivée le 6 juin à  Starie Dorogi (Staryye Dorogi) Staryya Darohi – Wikipedia

    Nous n’avons pas retrouvé de document écrit sur son rapatriement une fois la guerre terminée. Frédéric comme tous les anciens combattants ne parlaient pas ou peu de ce qui avaient été leurs épreuves, en tant cas, rarement à leurs enfants. Cela a été une hypothèse depuis la découverte de son carnet en 2021 jusqu’à une rencontre fortuite en août 2025 avec Odile HUET dans son domicile (93 ans, épouse de son fils Réné), qui se souvenait parfaitement que Frédéric a déclaré être revenu de Russie. Odile a indiqué qu’il est revenu bien plus tard que les autres prisonniers, après la fête de célébration du retour des prisonniers dans son canton et que sa famille le croyait disparu. 

    L’armée russe a fait subir cette épreuve à des dizaines de milliers de prisonniers occidentaux.

    Il reste encore une part de doute sur le chemin du retour de Minsk vers la France. D’après le carnet, il semblerait qu’il ait été rapatrié par la traversée de la Pologne, l’Allemagne (en passant par Berlin) et Belgique contrairement à une grande partie des prisonniers rapatriée par voie maritime d’Odessa en Ukraine vers Marseille. Beaucoup de récits nous disent que les prisonniers “libérés” par la Russes ont d’abord été envoyés vers Odessa, dans un premier temps pour des rapatriements en bateaux. Puis il y a eu changement : pour beaucoup à mi-parcours quelque part en Ukraine, ils ont fait demi-tour pour repartir vers Berlin …puis Magdebourg…puis la Belgique. Est toujours en cours une recherche d’une trace, d’un document témoignant de ce périple long et certainement plein d’embûches à travers une Europe complétement dévastée.

    Primo Levi, juif italien et écrivain de nombreuses ouvrages, le raconte dans son œuvre autobiographique, la Trêve que je vous conseille. Le groupe composé principalement d’Italiens et de Roumains, auquel il appartenait est arrivé en Juillet, juste aprés le départ d’un groupe de Français (dont faisait partie Frédéric).

    « Although liberated on 27 January 1945, Levi did not reach Turin until 19 October 1945. After spending some time in a Soviet camp for former concentration camp inmates, he embarked on an arduous journey home in the company of former Italian prisoners of war who had been part of the Italian Army in Russia. The long railway journey home to Turin took him on a circuitous route from Poland, through Belarus, Ukraine, Romania, Hungary, Austria, and Germany – an arduous journey described especially in his 1963 work The Truce – noting the millions of displaced people on the roads and trains throughout Europe in that period”

    Les prisonniers de guerre français sont bien souvent les grands oubliés de l’histoire, le drame etles souffrances physiques et morales de ces hommes qui ont perdu cinq ans de leur vie et pour certains la vie. On mesure la résonance que le sort des prisonniers a pu avoir sur une majorité de français, dont la vie fut tout autant bouleversée, surajoutant aux difficultés de l’occupation. Presque toutes les familles sont touchées directement ou indirectement, leur absence va peser sur la vie économique, la vie familiale, laisser des femmes et des enfants face aux difficultés du quotidien…

  • Par cet article, je voudrais partager les éléments retrouvés pour ce qui a été une terrible épreuve pour mon grand-père paternel, d’être déporté dans des camps de travail comme pour près de 1,6 millions de prisonniers français. A l’issue de cette longue période de 6 années dans des camps en Autriche, une épreuve supplémentaire l’attendait :  libéré en avril 1945 par l’armée russe qui au lieu de le rapatrier vers l’ouest, l’a emmené plus loin vers l’est dans un long périple insensé à travers l’Europe centrale puis de l’Est (Autriche, Hongrie, Roumanie, Ukraine, Pologne et Biélorussie) pour atteindre Minsk.  

    Lors du début de la Seconde Guerre mondiale, Frederic HUET est mobilisé dès le 27 aout 1939 lorsqu’il avait déjà environ 37 ans (marié à 23 ans). Il avait alors 2 enfants, Roger (12 ans) et Madeleine (8 ans). Grade: caporal. Du fait de son âge, il a été incorporé dans le régiment régional 91ème R.R., qui est un régiment de réserve de l’armée de terre française, formé de soldats âgés, chargé de garder les lignes arrière, à l’image de l’infanterie territoriale de la Grande Guerre. 

    Photo de Frédéric probablement avant la guerre :

    Débute la « drôle de guerre » jusqu’à l’offensive allemande le 5 mai 1940. Le 10 juin, le front est percé sur la Somme. Les Allemands prennent Paris le 14 juin, puis Orléans le 16 juin.  Il est fait prisonnier le 27 juin 1940 à Lencloitre (département de la Vienne – proche de Châtellerault – lors de surveillance de voies ferrées selon son fils Jocelyn) matricule 1711.

    Il est ensuite déporté le 6 Janvier 1941 vers le stalag (abréviation of Stammlager, camp pour) XVIIA à Kaisersteinbruch à coté de Vienne (Autriche, matricule 4407 (Kommandos 61338,  114 410,   A67G Sittendorf). Un stalag, abréviation de Stammlager « camp de base de prisonniers de guerre », désigne un site destiné à détenir les soldats de rang et leurs sous-officiers. Camp de prisonniers, établi en Allemagne ou dans les pays occupés pendant la Seconde Guerre mondiale.

    Selon son carnet, il a écrit : « on est arrivé au campement en Autriche le 10/01/41, on a été 8 jours, après ils nous ont emmenés pour travailler sur les autoroutes. Après ils nous ont emmenés à Vienne pour travailler en usine”. Il a donc dans un premier temps, participé alors à la construction de ce qui est aujourd’hui l’autoroute A21 à Sittendorf à une dizaine de kms au sud-ouest de Vienne, puis transféré dans une usine dans un quartier sud de Vienne, probablement dans le cadre de ce qu’on appelle un kommando de travail.

    Chaque camp était constitué d’un camp central et de kommandos de travail pouvant grouper de quelques hommes (fermes agricoles) jusqu’à plusieurs centaines (chantiers, usines, mines). Neuf prisonniers sur dix étaient utilisés dans les kommandos de travail.

    Stalag XVII A Construction d’une autoroute 

    Kaisersteinbruch  est un petit village situé à quelques kilomètres au sud de Brück et nommé : “la carrière de pierres de l’empereur”. C’était un joli village du Burgenland, serré autour d’une petite église baroque mais, malheureusement, flanqué à l’est d’un horrible camp de prisonniers avec miradors et barbelés.

    En janvier 1941FrancaisBelgesPolonaisTotal
    Officiers97000970
    Soldats et Sous-officiers65.4415.6422.50073.583
    Civils1464232220

    En raison du grand nombre de prisonniers de guerre décédés lors de l’hiver 1941-1942, un cimetière de camp avec des fosses communes fut construit à quelques centaines de mètres du camp. Le traité d’État du 15 mai 1955 mentionne 9 584 soldats soviétiques décédés, qui étaient les plus mal traités par les Allemands.

    Les années suivantes, le nombre de détenus oscille entre 25.500 et 53.000. En février 1945, le rapport de contrôle de l’IRKR fait état d’un total de 26.470 prisonniers.

    Noel 1940 photo prise dans le réfectoire du Stalag XVII A de Kaisersteinbruch

    Récit fait par un prisonnier de ce camp Stalag XVII A:

    « Très vite, la famine s’installa, touchant surtout ceux qui, comme moi, ne recevaient que très peu, sinon pas du tout, de colis. Certaines familles, plus au courant que d’autres, avaient réagi très vite et expédié à “leur” prisonnier des colis de victuailles sans lesquelles il n’était guère possible de survivre. Bien entendu, les plus favorisés aidaient les autres mais cela ne pouvait aller très loin car, comment s’intégrer à une “popote” convenablement ravitaillée lorsque l’on n’a rien à apporter, ce qui était mon cas.

    Comme la plupart de jeunes du camp, je souffrais terriblement de la faim; j’avais beaucoup maigri, ma tension était probablement très basse car je devais faire attention aux vertiges qui me prenaient lorsque je passais de la position couchée à la position verticale et d’ailleurs, comment en aurait-il été autrement avec le régime alimentaire qui nous était octroyé?

    LE MATIN: un verre de décoction d’orge baptisé” “café”.

    A MIDI: un demi-litre d’eau chaude où traînaient, çà et là, quelques morceaux de rutabaga et quelquefois, miracle, un morceau de pomme de terre!

    LE SOIR: un pain militaire pour cinq ou pour six, selon les jours, soit la valeur de trois ou quatre tranches, accompagné d’une cuillère de mélasse, ou de margarine, ou d’un petit morceau de fromage assez mauvais. 

    Les rations alimentaires étaient maigres, au Stalag XVII A. Elles s’établissaient ainsi par homme et par semaine : 2425 grammes de pain ; 250 grammes de viande ; 2800 grammes de pommes de terre ; 150 grammes de farine ; 175 grammes de sucre ; quant aux légumes, cela variait en fonction des arrivages. Le menu type se composait d’une ration de pain journalière donnée le matin, d’une soupe dite « La Grayette » pour le midi, composée de pommes de terre et de rutabagas non épluchés, agrémentée d’orties. Dans ce brouet terreux, quelques cartilages figuraient la viande, le tout distribué dans des sceaux de 20 litres. Le soir, les prisonniers recevaient une nouvelle décoction appelée officiellement « Café » avec un cube de margarine synthétique.

    « C’était même parfois tellement mauvais qu’une crise de foie vous évitait de souffrir de la faim pendant un ou deux jours. Pour moi, la dominante de cette période a certainement été LA FAIM et je crois pouvoir dire que j’ai souffert de la faim pendant deux ans et que je ne pouvais penser qu’à ça. D’ailleurs, très vite, et surtout parmi les jeunes, apparurent des cas de tuberculose pulmonaire à développement rapide que l’on appelait, à l’époque “phtisie galopante”. Dès que le médecin du camp avait posé le diagnostic, le jeune garçon était expédié vers la France où, en général, il n’arrivait pas vivant. Les cas étaient de plus en plus nombreux et tous étaient mortels. » »

    De cette période, Frederic a gardé quelques photos avec ses camarades qui le surnomment « papy », on espère affectueusement :  quadragénaire, il a, en effet, quasiment le double de l’âge de ses camarades.  

    D’après ce qu’on retrouve, il semble qu’il ne soit pas resté longtemps dans le campement même du Stalag XVIIA et qu’il n’a pas forcément connu très longuement ces conditions d’enfermement dans ces baraquements décrites ci-dessous.  Ainsi, d’après quelques traces (écrits sommaires dans son carnet et quelques documents ci-dessous), il semble qu’il soit parti rapidement ce de camp pour être affectaté à des  travaux d’autoroute qui ont lieu en 1941. Ensuite, il a été affecté dans une usine autrichienne Saurerwerke AG à Vienne (fondée en 1906, la société est un important constructeur de véhicules utilitaires qui fabriquait des camions et des bus de 1906 à 1969) et y est resté vraisemblablement jusqu’en avril 1945. 

    Les halls de l’usine Saurerwerke étaient situés au 22 Haidestraße/Oriongasse, dans le 11e arrondissement. Ils existent encore aujourd’hui. Les anciens locaux de l’usine sont utilisés par la société LGV Frischgemüse Wien reg. Gen.m.b.H., qui y a également ajouté de nouveaux bâtiments.


    Kommandos
    nombre de Françaiseffectif maximum des détenusdates d’ouverture et de fermetureactivités des Kommandos et entreprises utilisatrices de la main d’œuvre
    42WienSaurer-Werke701 48011/10/43 – 03/05/45Usine d’armement (Saurer-Werke AG)

    Camps & Kommandos – MAUTHAUSEN

    Lors de la reception de cette carte postale adressée en allemand le 1 juillet 1943, son affectation est toujours l’usine Sauer Werk à Vienne.  Carte postale d’un germanophone en vacances de Karntin dans le sud de l’Autriche (la Carinthie) lui adressant ainsi qu’à ses « camarades connus » ses salutations de vacances.

    Ensuite, Fréderic a conservé une carte métallique en bon état, sur laquelle on peut lire que le 20/12/1944, il travaille à Vienne-Simmering dans l’usine Österreichische Saurerwerke AG) comme perceur (montrant un manque de bonne volonté d’après les très rares témoignages laissés oralement à son fils Jocelyn).

    À partir de l’été 1944, la situation a dû se dégrader brusquement pour Frédéric puisque l’entreprise emploie non seulement des travailleurs forcés civils mais aussi des prisonniers du camp de concentration de Mauthausen (qui était l’un des camps les plus sévères et des plus violents. Les conditions de travail étaient jugées particulièrement dures même selon les standards des camps de concentration). Le manque de main d’œuvre à la fin de la guerre (un nombre croissant d’Allemands était mobilisé dans la Wehrmacht) peut expliquer ce mélange qui a dû être très marquant d’être confronté aux destins bien plus tragiques des prisonniers du camp de concentration.

    Le 20 août 1944, le « camp satellite Saurerwerke » fut créé dans le quartier Simmering (11e arrondissement) de Vienne. Le premier convoi de Mauthausen transportait environ 140 prisonniers, qui furent hébergés dans un camp de baraques situé aux portes de l’usine, qui avait auparavant servi à détenir des civils et des prisonniers de guerre (dont Frédéric). Ainsi le nombre de prisonniers du sous-camp de Saurerwerke est passé de 150 à 1 000 ; deux mois plus tard, 1 391 personnes étaient détenues dans le camp. Fin février et début mars 1945, le nombre de prisonniers a atteint son maximum avec 1 480 personnes. La plupart des hommes étaient classés comme prisonniers « politiques». Ils venaient d’Allemagne, de France, de Grèce, d’Italie, de Yougoslavie, d’Autriche, des Pays-Bas, de Belgique, d’Espagne, du Luxembourg, de Pologne, d’Union soviétique, de Tchécoslovaquie et de Hongrie ; il y avait également plusieurs prisonniers juifs parmi eux. Le commandant du camp était Franz Kalteis, originaire de Vienne, qui avait été envoyé à Simmering depuis Mauthausen à l’initiative de l’organisation clandestine de résistance des prisonniers du camp de concentration. À la Saurerwerke également, une organisation clandestine de prisonniers s’est formée, composée de représentants de toutes les nations et de tous les courants (politiques) du camp. Elle a été mise en place et dirigée par Walter Ehlen (fonctionnaire de l’Association communiste allemande de la jeunesse).

    Travail forcé

    Avant l’Anschluss (annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie), l’usine Saurerwerke était spécialisée dans la fabrication de véhicules à chenilles et de camions et elle poursuivit sa production sous le régime nazi. Les prisonniers étaient uniquement affectés à la production de camions de transport de chars. Ils travaillaient dans le hall C de l’usine 2 (dont les fenêtres avaient été barricadées et où des murs supplémentaires avaient été construits). Les locaux de l’usine étant devenus trop petits, deux grandes salles situées au sous-sol du château voisin de Neugebäude furent également utilisées comme halls de production jusqu’en mars 1945. Les survivants rapportèrent plus tard qu’ils avaient souvent bénéficié de manifestations de solidarité de la part de travailleurs civils autrichiens et étrangers. À part cela, les conditions de travail étaient toutefois très dures. 40 prisonniers moururent dans le camp. Dix-sept autres ont perdu la vie dans le « camp infirmerie » après avoir été ramenés au Stalag de Mauthausen.

    Garde

    Le SS-Hauptsturmführer (chef d’assaut) Johann Gärtner était le commandant du camp ; le SS-Oberscharführer (chef d’escouade) Karl Kleine dirigeait le camp de détention préventive, et le SS-Oberscharführer Gerhard Wittkowski était le chef de service. Quatre officiers SS de Mauthausen, 46 sergents SS et 85 membres d’équipage SS étaient chargés de la garde des prisonniers.

    A la fin de la guerre à la fin mars 1945, l’Armée rouge venant de Hongrie, est en marche se rapprochant rapidement chaque jour davantage du camp. L’ordre est donné, comme dans tous les camps d’évacuer les détenus vers l’ouest entre fin mars et début avril, afin de les transférer dans un camp de prisonniers encore difficile à atteindre pour les troupes soviétiques.

    Franz Kalteis, prisonnier venant du camp de concentration de Mauthausen a, en tant que doyen du camp, assuré une rôle de représentation des prisonniers. Fin mars 1945, il lutta avec le commandant du camp, le SS-Hauptsturmführer Johann Gärtner, pour la vie de 190 prisonniers malades qui, selon un ordre central du commandant du camp de Mauthausen, devaient être assassinés avant l’évacuation des camps annexes. Franz Kalteis nous raconte ces heures :

    « Tard dans la soirée du dernier jour de mars, je fus convoqué chez le commandant du camp, Gärtner, où une discussion dramatique s’engagea.

    Gärtner, complètement désemparé, me demanda immédiatement combien de personnes étaient inaptes à la marche, c’est-à-dire malades. Comme je devinais facilement le contexte, j’exagérai le nombre et lui expliquai qu’environ 180 prisonniers ne seraient pas capables de supporter une longue marche à pied… À ce moment-là, j’expliquai calmement et sereinement à Gärtner que la guerre était perdue, soutenu par le grondement discret des canons. Je lui dis qu’en tant que Viennois, lui seul ne pouvait tuer près de 200 personnes ici, en pleine ville, sans que des milliers de témoins ne le tiennent responsable plus tard. Bref, je réussis à convaincre le commandant du camp d’accepter que les prisonniers souffrant de plaies aux pieds et autres maladies soient laissés sans gardes au camp. »

    Le 1er avril, des préparatifs furent entrepris pour l’évacuation du camp. Le lendemain, 1 276 prisonniers furent envoyés en marche d’évacuation en trois colonnes (dirigées par les SS-Oberscharführer Karl Kleine, Josef Plehar et Gerhard Wittkowski),. De Simmering, ils traversèrent Purkersdorf, St. Pölten, Man, Scheibbs, Gresten, Randegg et Seitenstetten jusqu’à Steyr. De nombreux prisonniers furent abattus par les SS pendant la marche et plusieurs moururent d’épuisement. 25 prisonniers réussirent à s’échapper. Le 23 avril 1945, 1 076 prisonniers arrivèrent au sous-camp de Steyr-Münichholz. Une semaine plus tard, le 30 avril, 497 d’entre eux furent transférés au Stalag de Mauthausen.

    190 prisonniers incapables de marcher furent abandonnés au camp de Saurer-Werke, parmi lesquels des prisonniers originaires d’Allemagne, de France, de Grèce, d’Italie, d’ex-Yougoslavie, des Pays-Bas, de Pologne, d’ex-Union soviétique, de République tchèque et de Hongrie. 33 d’entre eux étaient juifs. Ils furent libérés par les troupes soviétiques le 8 avril 1945. 

    Il est plus que vraisemblable que Frederic a fait partie de ces 190 prisonniers incapables de marcher dont le destin a failli basculer vers une fin tragique à la fin de la guerre. Libérés par l’armée russe qui au lieu de le rapatrier à l’ouest, les ont emmené vers l’est dans un périple à travers l’Europe (Autriche, Hongrie, Roumanie, Ukraine, Pologne) pour atteindre la Biélorussie.  

    On retrouve dans son carnet le départ de Vienne le 8 avril 1945 (tout en haut, écriture légement effacée).  Et puis, on a retrouvé une liste d’une trentaine de noms de lieux, qui étaient d’origine germanique, hongrois, roumains puis slave. Reconstituant cette liste sur googlemap, on s’aperçoit que cela constitue un chemin menant d’Autriche jusqu’en Biélorussie.  

    Durant les mois d’avril et mai 1945, ils font ce parcours en train et à pied d’après des témoignages d’autres camarades d’infortune ayant écrit leur périple. « Ils cueillent sur le bord de la route de l’oseille et des feuilles de frênes pour faire de la soupe. Ils sont dirigés à pied vers Budapest par les russes, leurs ballots dans des charrettes tirées par des bœufs. Mais dans cette capitale, ils furent livrés à eux-mêmes.Les officiers français prirent leurs soldats en main, disciplinés, en rang. Ils contactent les officiers russes qui leur indiquent une caserne où ils se reposent et se restaurent. Ensuite, ils prennent le train pour Odessa. »

    Il faut imaginer des nombreux transferts en train, à pied ou en camion vu l’état désastreux des infrastructures ferroviaires et routières à la sortie de la guerre.

     Dans son carnet toujours, on retrouve des étapes avec des dates  :Wien le 8 avril, Sopron (Hongrie) arrivé le 16 avril et reparti le 29 avril. Szombathely (Hongrie), Sarvar, (Hongrie), Celldömölk (Hongrie), Veszprém (Hongrie) arrivé le 2 mai reparti le 20 mai, Székesfehérvár  (Hongrie), Martonvásár  (Hongrie), Budapest,

    “Királyháza (Hongrie ou Ukraine?) 4 jours du 28 au 31 (mai).

    Passé dans les Karpatte le samedi au dimanche au midi, le lundi, on a passé un vrai désert, arrivée le 6 juin à  Starie Dorogi (Staryye Dorogi) Staryya Darohi – Wikipedia

    Nous n’avons pas retrouvé de document écrit sur son rapatriement une fois la guerre terminée. Frédéric comme tous les anciens combattants ne parlaient pas ou peu de ce qui avaient été leurs épreuves, en tant cas, rarement à leurs enfants. Cela a été une hypothèse depuis la découverte de son carnet en 2021 jusqu’à une rencontre fortuite en août 2025 avec Odile HUET dans son domicile (93 ans, épouse de son fils Réné), qui se souvenait parfaitement que Frédéric a déclaré être revenu de Russie. Odile a indiqué qu’il est revenu bien plus tard que les autres prisonniers, après la fête de célébration du retour des prisonniers dans son canton et que sa famille le croyait disparu. 

    L’armée russe a fait subir cette épreuve à des dizaines de milliers de prisonniers occidentaux.

    Il reste encore une part de doute sur le chemin du retour de Minsk vers la France. D’après le carnet, il semblerait qu’il ait été rapatrié par la traversée de la Pologne, l’Allemagne (en passant par Berlin) et Belgique contrairement à une grande partie des prisonniers rapatriée par voie maritime d’Odessa en Ukraine vers Marseille. Beaucoup de récits nous disent que les prisonniers “libérés” par la Russes ont d’abord été envoyés vers Odessa, dans un premier temps pour des rapatriements en bateaux. Puis il y a eu changement : pour beaucoup à mi-parcours quelque part en Ukraine, ils ont fait demi-tour pour repartir vers Berlin …puis Magdebourg…puis la Belgique. Est toujours en cours une recherche d’une trace, d’un document témoignant de ce périple long et certainement plein d’embûches à travers une Europe complétement dévastée.

    Primo Levi, juif italien et écrivain de nombreuses ouvrages, le raconte dans son œuvre autobiographique, la Trêve que je vous conseille. Le groupe composé principalement d’Italiens et de Roumains, auquel il appartenait est arrivé en Juillet, juste aprés le départ d’un groupe de Français (dont faisait partie Frédéric).

    « Although liberated on 27 January 1945, Levi did not reach Turin until 19 October 1945. After spending some time in a Soviet camp for former concentration camp inmates, he embarked on an arduous journey home in the company of former Italian prisoners of war who had been part of the Italian Army in Russia. The long railway journey home to Turin took him on a circuitous route from Poland, through Belarus, Ukraine, Romania, Hungary, Austria, and Germany – an arduous journey described especially in his 1963 work The Truce – noting the millions of displaced people on the roads and trains throughout Europe in that period”

    Les prisonniers de guerre français sont bien souvent les grands oubliés de l’histoire, le drame etles souffrances physiques et morales de ces hommes qui ont perdu cinq ans de leur vie et pour certains la vie. On mesure la résonance que le sort des prisonniers a pu avoir sur une majorité de français, dont la vie fut tout autant bouleversée, surajoutant aux difficultés de l’occupation. Presque toutes les familles sont touchées directement ou indirectement, leur absence va peser sur la vie économique, la vie familiale, laisser des femmes et des enfants face aux difficultés du quotidien…

  • Par cet article, je voudrais partager les éléments retrouvés pour ce qui a été une terrible épreuve pour mon grand-père paternel, d’être déporté dans des camps de travail comme pour près de 1,6 millions de prisonniers français. A l’issue de cette longue période de 6 années dans des camps en Autriche, une épreuve supplémentaire l’attendait :  libéré en avril 1945 par l’armée russe qui au lieu de le rapatrier vers l’ouest, l’a emmené plus loin vers l’est dans un long périple insensé à travers l’Europe centrale puis de l’Est (Autriche, Hongrie, Roumanie, Ukraine, Pologne et Biélorussie) pour atteindre Minsk.  

    Lors du début de la Seconde Guerre mondiale, Frederic HUET est mobilisé dès le 27 aout 1939 lorsqu’il avait déjà environ 37 ans (marié à 23 ans). Il avait alors 2 enfants, Roger (12 ans) et Madeleine (8 ans). Grade: caporal. Du fait de son âge, il a été incorporé dans le régiment régional 91ème R.R., qui est un régiment de réserve de l’armée de terre française, formé de soldats âgés, chargé de garder les lignes arrière, à l’image de l’infanterie territoriale de la Grande Guerre. 

    Photo de Frédéric probablement avant la guerre :

    Débute la « drôle de guerre » jusqu’à l’offensive allemande le 5 mai 1940. Le 10 juin, le front est percé sur la Somme. Les Allemands prennent Paris le 14 juin, puis Orléans le 16 juin.  Il est fait prisonnier le 27 juin 1940 à Lencloitre (département de la Vienne – proche de Châtellerault – lors de surveillance de voies ferrées selon son fils Jocelyn) matricule 1711.

    Il est ensuite déporté le 6 Janvier 1941 vers le stalag (abréviation of Stammlager, camp pour) XVIIA à Kaisersteinbruch à coté de Vienne (Autriche, matricule 4407 (Kommandos 61338,  114 410,   A67G Sittendorf). Un stalag, abréviation de Stammlager « camp de base de prisonniers de guerre », désigne un site destiné à détenir les soldats de rang et leurs sous-officiers. Camp de prisonniers, établi en Allemagne ou dans les pays occupés pendant la Seconde Guerre mondiale.

    Selon son carnet, il a écrit : « on est arrivé au campement en Autriche le 10/01/41, on a été 8 jours, après ils nous ont emmenés pour travailler sur les autoroutes. Après ils nous ont emmenés à Vienne pour travailler en usine”. Il a donc dans un premier temps, participé alors à la construction de ce qui est aujourd’hui l’autoroute A21 à Sittendorf à une dizaine de kms au sud-ouest de Vienne, puis transféré dans une usine dans un quartier sud de Vienne, probablement dans le cadre de ce qu’on appelle un kommando de travail.

    Chaque camp était constitué d’un camp central et de kommandos de travail pouvant grouper de quelques hommes (fermes agricoles) jusqu’à plusieurs centaines (chantiers, usines, mines). Neuf prisonniers sur dix étaient utilisés dans les kommandos de travail.

    Stalag XVII A Construction d’une autoroute 

    Kaisersteinbruch  est un petit village situé à quelques kilomètres au sud de Brück et nommé : “la carrière de pierres de l’empereur”. C’était un joli village du Burgenland, serré autour d’une petite église baroque mais, malheureusement, flanqué à l’est d’un horrible camp de prisonniers avec miradors et barbelés.

    En janvier 1941FrancaisBelgesPolonaisTotal
    Officiers97000970
    Soldats et Sous-officiers65.4415.6422.50073.583
    Civils1464232220

    En raison du grand nombre de prisonniers de guerre décédés lors de l’hiver 1941-1942, un cimetière de camp avec des fosses communes fut construit à quelques centaines de mètres du camp. Le traité d’État du 15 mai 1955 mentionne 9 584 soldats soviétiques décédés, qui étaient les plus mal traités par les Allemands.

    Les années suivantes, le nombre de détenus oscille entre 25.500 et 53.000. En février 1945, le rapport de contrôle de l’IRKR fait état d’un total de 26.470 prisonniers.

    Noel 1940 photo prise dans le réfectoire du Stalag XVII A de Kaisersteinbruch

    Récit fait par un prisonnier de ce camp Stalag XVII A:

    « Très vite, la famine s’installa, touchant surtout ceux qui, comme moi, ne recevaient que très peu, sinon pas du tout, de colis. Certaines familles, plus au courant que d’autres, avaient réagi très vite et expédié à “leur” prisonnier des colis de victuailles sans lesquelles il n’était guère possible de survivre. Bien entendu, les plus favorisés aidaient les autres mais cela ne pouvait aller très loin car, comment s’intégrer à une “popote” convenablement ravitaillée lorsque l’on n’a rien à apporter, ce qui était mon cas.

    Comme la plupart de jeunes du camp, je souffrais terriblement de la faim; j’avais beaucoup maigri, ma tension était probablement très basse car je devais faire attention aux vertiges qui me prenaient lorsque je passais de la position couchée à la position verticale et d’ailleurs, comment en aurait-il été autrement avec le régime alimentaire qui nous était octroyé?

    LE MATIN: un verre de décoction d’orge baptisé” “café”.

    A MIDI: un demi-litre d’eau chaude où traînaient, çà et là, quelques morceaux de rutabaga et quelquefois, miracle, un morceau de pomme de terre!

    LE SOIR: un pain militaire pour cinq ou pour six, selon les jours, soit la valeur de trois ou quatre tranches, accompagné d’une cuillère de mélasse, ou de margarine, ou d’un petit morceau de fromage assez mauvais. 

    Les rations alimentaires étaient maigres, au Stalag XVII A. Elles s’établissaient ainsi par homme et par semaine : 2425 grammes de pain ; 250 grammes de viande ; 2800 grammes de pommes de terre ; 150 grammes de farine ; 175 grammes de sucre ; quant aux légumes, cela variait en fonction des arrivages. Le menu type se composait d’une ration de pain journalière donnée le matin, d’une soupe dite « La Grayette » pour le midi, composée de pommes de terre et de rutabagas non épluchés, agrémentée d’orties. Dans ce brouet terreux, quelques cartilages figuraient la viande, le tout distribué dans des sceaux de 20 litres. Le soir, les prisonniers recevaient une nouvelle décoction appelée officiellement « Café » avec un cube de margarine synthétique.

    « C’était même parfois tellement mauvais qu’une crise de foie vous évitait de souffrir de la faim pendant un ou deux jours. Pour moi, la dominante de cette période a certainement été LA FAIM et je crois pouvoir dire que j’ai souffert de la faim pendant deux ans et que je ne pouvais penser qu’à ça. D’ailleurs, très vite, et surtout parmi les jeunes, apparurent des cas de tuberculose pulmonaire à développement rapide que l’on appelait, à l’époque “phtisie galopante”. Dès que le médecin du camp avait posé le diagnostic, le jeune garçon était expédié vers la France où, en général, il n’arrivait pas vivant. Les cas étaient de plus en plus nombreux et tous étaient mortels. » »

    De cette période, Frederic a gardé quelques photos avec ses camarades qui le surnomment « papy », on espère affectueusement :  quadragénaire, il a, en effet, quasiment le double de l’âge de ses camarades.  

    D’après ce qu’on retrouve, il semble qu’il ne soit pas resté longtemps dans le campement même du Stalag XVIIA et qu’il n’a pas forcément connu très longuement ces conditions d’enfermement dans ces baraquements décrites ci-dessous.  Ainsi, d’après quelques traces (écrits sommaires dans son carnet et quelques documents ci-dessous), il semble qu’il soit parti rapidement ce de camp pour être affectaté à des  travaux d’autoroute qui ont lieu en 1941. Ensuite, il a été affecté dans une usine autrichienne Saurerwerke AG à Vienne (fondée en 1906, la société est un important constructeur de véhicules utilitaires qui fabriquait des camions et des bus de 1906 à 1969) et y est resté vraisemblablement jusqu’en avril 1945. 

    Les halls de l’usine Saurerwerke étaient situés au 22 Haidestraße/Oriongasse, dans le 11e arrondissement. Ils existent encore aujourd’hui. Les anciens locaux de l’usine sont utilisés par la société LGV Frischgemüse Wien reg. Gen.m.b.H., qui y a également ajouté de nouveaux bâtiments.


    Kommandos
    nombre de Françaiseffectif maximum des détenusdates d’ouverture et de fermetureactivités des Kommandos et entreprises utilisatrices de la main d’œuvre
    42WienSaurer-Werke701 48011/10/43 – 03/05/45Usine d’armement (Saurer-Werke AG)

    Camps & Kommandos – MAUTHAUSEN

    Lors de la reception de cette carte postale adressée en allemand le 1 juillet 1943, son affectation est toujours l’usine Sauer Werk à Vienne.  Carte postale d’un germanophone en vacances de Karntin dans le sud de l’Autriche (la Carinthie) lui adressant ainsi qu’à ses « camarades connus » ses salutations de vacances.

    Ensuite, Fréderic a conservé une carte métallique en bon état, sur laquelle on peut lire que le 20/12/1944, il travaille à Vienne-Simmering dans l’usine Österreichische Saurerwerke AG) comme perceur (montrant un manque de bonne volonté d’après les très rares témoignages laissés oralement à son fils Jocelyn).

    À partir de l’été 1944, la situation a dû se dégrader brusquement pour Frédéric puisque l’entreprise emploie non seulement des travailleurs forcés civils mais aussi des prisonniers du camp de concentration de Mauthausen (qui était l’un des camps les plus sévères et des plus violents. Les conditions de travail étaient jugées particulièrement dures même selon les standards des camps de concentration). Le manque de main d’œuvre à la fin de la guerre (un nombre croissant d’Allemands était mobilisé dans la Wehrmacht) peut expliquer ce mélange qui a dû être très marquant d’être confronté aux destins bien plus tragiques des prisonniers du camp de concentration.

    Le 20 août 1944, le « camp satellite Saurerwerke » fut créé dans le quartier Simmering (11e arrondissement) de Vienne. Le premier convoi de Mauthausen transportait environ 140 prisonniers, qui furent hébergés dans un camp de baraques situé aux portes de l’usine, qui avait auparavant servi à détenir des civils et des prisonniers de guerre (dont Frédéric). Ainsi le nombre de prisonniers du sous-camp de Saurerwerke est passé de 150 à 1 000 ; deux mois plus tard, 1 391 personnes étaient détenues dans le camp. Fin février et début mars 1945, le nombre de prisonniers a atteint son maximum avec 1 480 personnes. La plupart des hommes étaient classés comme prisonniers « politiques». Ils venaient d’Allemagne, de France, de Grèce, d’Italie, de Yougoslavie, d’Autriche, des Pays-Bas, de Belgique, d’Espagne, du Luxembourg, de Pologne, d’Union soviétique, de Tchécoslovaquie et de Hongrie ; il y avait également plusieurs prisonniers juifs parmi eux. Le commandant du camp était Franz Kalteis, originaire de Vienne, qui avait été envoyé à Simmering depuis Mauthausen à l’initiative de l’organisation clandestine de résistance des prisonniers du camp de concentration. À la Saurerwerke également, une organisation clandestine de prisonniers s’est formée, composée de représentants de toutes les nations et de tous les courants (politiques) du camp. Elle a été mise en place et dirigée par Walter Ehlen (fonctionnaire de l’Association communiste allemande de la jeunesse).

    Travail forcé

    Avant l’Anschluss (annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie), l’usine Saurerwerke était spécialisée dans la fabrication de véhicules à chenilles et de camions et elle poursuivit sa production sous le régime nazi. Les prisonniers étaient uniquement affectés à la production de camions de transport de chars. Ils travaillaient dans le hall C de l’usine 2 (dont les fenêtres avaient été barricadées et où des murs supplémentaires avaient été construits). Les locaux de l’usine étant devenus trop petits, deux grandes salles situées au sous-sol du château voisin de Neugebäude furent également utilisées comme halls de production jusqu’en mars 1945. Les survivants rapportèrent plus tard qu’ils avaient souvent bénéficié de manifestations de solidarité de la part de travailleurs civils autrichiens et étrangers. À part cela, les conditions de travail étaient toutefois très dures. 40 prisonniers moururent dans le camp. Dix-sept autres ont perdu la vie dans le « camp infirmerie » après avoir été ramenés au Stalag de Mauthausen.

    Garde

    Le SS-Hauptsturmführer (chef d’assaut) Johann Gärtner était le commandant du camp ; le SS-Oberscharführer (chef d’escouade) Karl Kleine dirigeait le camp de détention préventive, et le SS-Oberscharführer Gerhard Wittkowski était le chef de service. Quatre officiers SS de Mauthausen, 46 sergents SS et 85 membres d’équipage SS étaient chargés de la garde des prisonniers.

    A la fin de la guerre à la fin mars 1945, l’Armée rouge venant de Hongrie, est en marche se rapprochant rapidement chaque jour davantage du camp. L’ordre est donné, comme dans tous les camps d’évacuer les détenus vers l’ouest entre fin mars et début avril, afin de les transférer dans un camp de prisonniers encore difficile à atteindre pour les troupes soviétiques.

    Franz Kalteis, prisonnier venant du camp de concentration de Mauthausen a, en tant que doyen du camp, assuré une rôle de représentation des prisonniers. Fin mars 1945, il lutta avec le commandant du camp, le SS-Hauptsturmführer Johann Gärtner, pour la vie de 190 prisonniers malades qui, selon un ordre central du commandant du camp de Mauthausen, devaient être assassinés avant l’évacuation des camps annexes. Franz Kalteis nous raconte ces heures :

    « Tard dans la soirée du dernier jour de mars, je fus convoqué chez le commandant du camp, Gärtner, où une discussion dramatique s’engagea.

    Gärtner, complètement désemparé, me demanda immédiatement combien de personnes étaient inaptes à la marche, c’est-à-dire malades. Comme je devinais facilement le contexte, j’exagérai le nombre et lui expliquai qu’environ 180 prisonniers ne seraient pas capables de supporter une longue marche à pied… À ce moment-là, j’expliquai calmement et sereinement à Gärtner que la guerre était perdue, soutenu par le grondement discret des canons. Je lui dis qu’en tant que Viennois, lui seul ne pouvait tuer près de 200 personnes ici, en pleine ville, sans que des milliers de témoins ne le tiennent responsable plus tard. Bref, je réussis à convaincre le commandant du camp d’accepter que les prisonniers souffrant de plaies aux pieds et autres maladies soient laissés sans gardes au camp. »

    Le 1er avril, des préparatifs furent entrepris pour l’évacuation du camp. Le lendemain, 1 276 prisonniers furent envoyés en marche d’évacuation en trois colonnes (dirigées par les SS-Oberscharführer Karl Kleine, Josef Plehar et Gerhard Wittkowski),. De Simmering, ils traversèrent Purkersdorf, St. Pölten, Man, Scheibbs, Gresten, Randegg et Seitenstetten jusqu’à Steyr. De nombreux prisonniers furent abattus par les SS pendant la marche et plusieurs moururent d’épuisement. 25 prisonniers réussirent à s’échapper. Le 23 avril 1945, 1 076 prisonniers arrivèrent au sous-camp de Steyr-Münichholz. Une semaine plus tard, le 30 avril, 497 d’entre eux furent transférés au Stalag de Mauthausen.

    190 prisonniers incapables de marcher furent abandonnés au camp de Saurer-Werke, parmi lesquels des prisonniers originaires d’Allemagne, de France, de Grèce, d’Italie, d’ex-Yougoslavie, des Pays-Bas, de Pologne, d’ex-Union soviétique, de République tchèque et de Hongrie. 33 d’entre eux étaient juifs. Ils furent libérés par les troupes soviétiques le 8 avril 1945. 

    Il est plus que vraisemblable que Frederic a fait partie de ces 190 prisonniers incapables de marcher dont le destin a failli basculer vers une fin tragique à la fin de la guerre. Libérés par l’armée russe qui au lieu de le rapatrier à l’ouest, les ont emmené vers l’est dans un périple à travers l’Europe (Autriche, Hongrie, Roumanie, Ukraine, Pologne) pour atteindre la Biélorussie.  

    On retrouve dans son carnet le départ de Vienne le 8 avril 1945 (tout en haut, écriture légement effacée).  Et puis, on a retrouvé une liste d’une trentaine de noms de lieux, qui étaient d’origine germanique, hongrois, roumains puis slave. Reconstituant cette liste sur googlemap, on s’aperçoit que cela constitue un chemin menant d’Autriche jusqu’en Biélorussie.  

    Durant les mois d’avril et mai 1945, ils font ce parcours en train et à pied d’après des témoignages d’autres camarades d’infortune ayant écrit leur périple. « Ils cueillent sur le bord de la route de l’oseille et des feuilles de frênes pour faire de la soupe. Ils sont dirigés à pied vers Budapest par les russes, leurs ballots dans des charrettes tirées par des bœufs. Mais dans cette capitale, ils furent livrés à eux-mêmes.Les officiers français prirent leurs soldats en main, disciplinés, en rang. Ils contactent les officiers russes qui leur indiquent une caserne où ils se reposent et se restaurent. Ensuite, ils prennent le train pour Odessa. »

    Il faut imaginer des nombreux transferts en train, à pied ou en camion vu l’état désastreux des infrastructures ferroviaires et routières à la sortie de la guerre.

     Dans son carnet toujours, on retrouve des étapes avec des dates  :Wien le 8 avril, Sopron (Hongrie) arrivé le 16 avril et reparti le 29 avril. Szombathely (Hongrie), Sarvar, (Hongrie), Celldömölk (Hongrie), Veszprém (Hongrie) arrivé le 2 mai reparti le 20 mai, Székesfehérvár  (Hongrie), Martonvásár  (Hongrie), Budapest,

    “Királyháza (Hongrie ou Ukraine?) 4 jours du 28 au 31 (mai).

    Passé dans les Karpatte le samedi au dimanche au midi, le lundi, on a passé un vrai désert, arrivée le 6 juin à  Starie Dorogi (Staryye Dorogi) Staryya Darohi – Wikipedia

    Nous n’avons pas retrouvé de document écrit sur son rapatriement une fois la guerre terminée. Frédéric comme tous les anciens combattants ne parlaient pas ou peu de ce qui avaient été leurs épreuves, en tant cas, rarement à leurs enfants. Cela a été une hypothèse depuis la découverte de son carnet en 2021 jusqu’à une rencontre fortuite en août 2025 avec Odile HUET dans son domicile (93 ans, épouse de son fils Réné), qui se souvenait parfaitement que Frédéric a déclaré être revenu de Russie. Odile a indiqué qu’il est revenu bien plus tard que les autres prisonniers, après la fête de célébration du retour des prisonniers dans son canton et que sa famille le croyait disparu. 

    L’armée russe a fait subir cette épreuve à des dizaines de milliers de prisonniers occidentaux.

    Il reste encore une part de doute sur le chemin du retour de Minsk vers la France. D’après le carnet, il semblerait qu’il ait été rapatrié par la traversée de la Pologne, l’Allemagne (en passant par Berlin) et Belgique contrairement à une grande partie des prisonniers rapatriée par voie maritime d’Odessa en Ukraine vers Marseille. Beaucoup de récits nous disent que les prisonniers “libérés” par la Russes ont d’abord été envoyés vers Odessa, dans un premier temps pour des rapatriements en bateaux. Puis il y a eu changement : pour beaucoup à mi-parcours quelque part en Ukraine, ils ont fait demi-tour pour repartir vers Berlin …puis Magdebourg…puis la Belgique. Est toujours en cours une recherche d’une trace, d’un document témoignant de ce périple long et certainement plein d’embûches à travers une Europe complétement dévastée.

    Primo Levi, juif italien et écrivain de nombreuses ouvrages, le raconte dans son œuvre autobiographique, la Trêve que je vous conseille. Le groupe composé principalement d’Italiens et de Roumains, auquel il appartenait est arrivé en Juillet, juste aprés le départ d’un groupe de Français (dont faisait partie Frédéric).

    « Although liberated on 27 January 1945, Levi did not reach Turin until 19 October 1945. After spending some time in a Soviet camp for former concentration camp inmates, he embarked on an arduous journey home in the company of former Italian prisoners of war who had been part of the Italian Army in Russia. The long railway journey home to Turin took him on a circuitous route from Poland, through Belarus, Ukraine, Romania, Hungary, Austria, and Germany – an arduous journey described especially in his 1963 work The Truce – noting the millions of displaced people on the roads and trains throughout Europe in that period”

    Les prisonniers de guerre français sont bien souvent les grands oubliés de l’histoire, le drame etles souffrances physiques et morales de ces hommes qui ont perdu cinq ans de leur vie et pour certains la vie. On mesure la résonance que le sort des prisonniers a pu avoir sur une majorité de français, dont la vie fut tout autant bouleversée, surajoutant aux difficultés de l’occupation. Presque toutes les familles sont touchées directement ou indirectement, leur absence va peser sur la vie économique, la vie familiale, laisser des femmes et des enfants face aux difficultés du quotidien…

  • Par cet article, je voudrais partager les éléments retrouvés pour ce qui a été une terrible épreuve pour mon grand-père paternel, d’être déporté dans des camps de travail comme pour près de 1,6 millions de prisonniers français. A l’issue de cette longue période de 6 années dans des camps en Autriche, une épreuve supplémentaire l’attendait :  libéré en avril 1945 par l’armée russe qui au lieu de le rapatrier vers l’ouest, l’a emmené plus loin vers l’est dans un long périple insensé à travers l’Europe centrale puis de l’Est (Autriche, Hongrie, Roumanie, Ukraine, Pologne et Biélorussie) pour atteindre Minsk.  

    Lors du début de la Seconde Guerre mondiale, Frederic HUET est mobilisé dès le 27 aout 1939 lorsqu’il avait déjà environ 37 ans (marié à 23 ans). Il avait alors 2 enfants, Roger (12 ans) et Madeleine (8 ans). Grade: caporal. Du fait de son âge, il a été incorporé dans le régiment régional 91ème R.R., qui est un régiment de réserve de l’armée de terre française, formé de soldats âgés, chargé de garder les lignes arrière, à l’image de l’infanterie territoriale de la Grande Guerre. 

    Photo de Frédéric probablement avant la guerre :

    Débute la « drôle de guerre » jusqu’à l’offensive allemande le 5 mai 1940. Le 10 juin, le front est percé sur la Somme. Les Allemands prennent Paris le 14 juin, puis Orléans le 16 juin.  Il est fait prisonnier le 27 juin 1940 à Lencloitre (département de la Vienne – proche de Châtellerault – lors de surveillance de voies ferrées selon son fils Jocelyn) matricule 1711.

    Il est ensuite déporté le 6 Janvier 1941 vers le stalag (abréviation of Stammlager, camp pour) XVIIA à Kaisersteinbruch à coté de Vienne (Autriche, matricule 4407 (Kommandos 61338,  114 410,   A67G Sittendorf). Un stalag, abréviation de Stammlager « camp de base de prisonniers de guerre », désigne un site destiné à détenir les soldats de rang et leurs sous-officiers. Camp de prisonniers, établi en Allemagne ou dans les pays occupés pendant la Seconde Guerre mondiale.

    Selon son carnet, il a écrit : « on est arrivé au campement en Autriche le 10/01/41, on a été 8 jours, après ils nous ont emmenés pour travailler sur les autoroutes. Après ils nous ont emmenés à Vienne pour travailler en usine”. Il a donc dans un premier temps, participé alors à la construction de ce qui est aujourd’hui l’autoroute A21 à Sittendorf à une dizaine de kms au sud-ouest de Vienne, puis transféré dans une usine dans un quartier sud de Vienne, probablement dans le cadre de ce qu’on appelle un kommando de travail.

    Chaque camp était constitué d’un camp central et de kommandos de travail pouvant grouper de quelques hommes (fermes agricoles) jusqu’à plusieurs centaines (chantiers, usines, mines). Neuf prisonniers sur dix étaient utilisés dans les kommandos de travail.

    Stalag XVII A Construction d’une autoroute 

    Kaisersteinbruch  est un petit village situé à quelques kilomètres au sud de Brück et nommé : “la carrière de pierres de l’empereur”. C’était un joli village du Burgenland, serré autour d’une petite église baroque mais, malheureusement, flanqué à l’est d’un horrible camp de prisonniers avec miradors et barbelés.

    En janvier 1941FrancaisBelgesPolonaisTotal
    Officiers97000970
    Soldats et Sous-officiers65.4415.6422.50073.583
    Civils1464232220

    En raison du grand nombre de prisonniers de guerre décédés lors de l’hiver 1941-1942, un cimetière de camp avec des fosses communes fut construit à quelques centaines de mètres du camp. Le traité d’État du 15 mai 1955 mentionne 9 584 soldats soviétiques décédés, qui étaient les plus mal traités par les Allemands.

    Les années suivantes, le nombre de détenus oscille entre 25.500 et 53.000. En février 1945, le rapport de contrôle de l’IRKR fait état d’un total de 26.470 prisonniers.

    Noel 1940 photo prise dans le réfectoire du Stalag XVII A de Kaisersteinbruch

    Récit fait par un prisonnier de ce camp Stalag XVII A:

    « Très vite, la famine s’installa, touchant surtout ceux qui, comme moi, ne recevaient que très peu, sinon pas du tout, de colis. Certaines familles, plus au courant que d’autres, avaient réagi très vite et expédié à “leur” prisonnier des colis de victuailles sans lesquelles il n’était guère possible de survivre. Bien entendu, les plus favorisés aidaient les autres mais cela ne pouvait aller très loin car, comment s’intégrer à une “popote” convenablement ravitaillée lorsque l’on n’a rien à apporter, ce qui était mon cas.

    Comme la plupart de jeunes du camp, je souffrais terriblement de la faim; j’avais beaucoup maigri, ma tension était probablement très basse car je devais faire attention aux vertiges qui me prenaient lorsque je passais de la position couchée à la position verticale et d’ailleurs, comment en aurait-il été autrement avec le régime alimentaire qui nous était octroyé?

    LE MATIN: un verre de décoction d’orge baptisé” “café”.

    A MIDI: un demi-litre d’eau chaude où traînaient, çà et là, quelques morceaux de rutabaga et quelquefois, miracle, un morceau de pomme de terre!

    LE SOIR: un pain militaire pour cinq ou pour six, selon les jours, soit la valeur de trois ou quatre tranches, accompagné d’une cuillère de mélasse, ou de margarine, ou d’un petit morceau de fromage assez mauvais. 

    Les rations alimentaires étaient maigres, au Stalag XVII A. Elles s’établissaient ainsi par homme et par semaine : 2425 grammes de pain ; 250 grammes de viande ; 2800 grammes de pommes de terre ; 150 grammes de farine ; 175 grammes de sucre ; quant aux légumes, cela variait en fonction des arrivages. Le menu type se composait d’une ration de pain journalière donnée le matin, d’une soupe dite « La Grayette » pour le midi, composée de pommes de terre et de rutabagas non épluchés, agrémentée d’orties. Dans ce brouet terreux, quelques cartilages figuraient la viande, le tout distribué dans des sceaux de 20 litres. Le soir, les prisonniers recevaient une nouvelle décoction appelée officiellement « Café » avec un cube de margarine synthétique.

    « C’était même parfois tellement mauvais qu’une crise de foie vous évitait de souffrir de la faim pendant un ou deux jours. Pour moi, la dominante de cette période a certainement été LA FAIM et je crois pouvoir dire que j’ai souffert de la faim pendant deux ans et que je ne pouvais penser qu’à ça. D’ailleurs, très vite, et surtout parmi les jeunes, apparurent des cas de tuberculose pulmonaire à développement rapide que l’on appelait, à l’époque “phtisie galopante”. Dès que le médecin du camp avait posé le diagnostic, le jeune garçon était expédié vers la France où, en général, il n’arrivait pas vivant. Les cas étaient de plus en plus nombreux et tous étaient mortels. » »

    De cette période, Frederic a gardé quelques photos avec ses camarades qui le surnomment « papy », on espère affectueusement :  quadragénaire, il a, en effet, quasiment le double de l’âge de ses camarades.  

    D’après ce qu’on retrouve, il semble qu’il ne soit pas resté longtemps dans le campement même du Stalag XVIIA et qu’il n’a pas forcément connu très longuement ces conditions d’enfermement dans ces baraquements décrites ci-dessous.  Ainsi, d’après quelques traces (écrits sommaires dans son carnet et quelques documents ci-dessous), il semble qu’il soit parti rapidement ce de camp pour être affectaté à des  travaux d’autoroute qui ont lieu en 1941. Ensuite, il a été affecté dans une usine autrichienne Saurerwerke AG à Vienne (fondée en 1906, la société est un important constructeur de véhicules utilitaires qui fabriquait des camions et des bus de 1906 à 1969) et y est resté vraisemblablement jusqu’en avril 1945. 

    Les halls de l’usine Saurerwerke étaient situés au 22 Haidestraße/Oriongasse, dans le 11e arrondissement. Ils existent encore aujourd’hui. Les anciens locaux de l’usine sont utilisés par la société LGV Frischgemüse Wien reg. Gen.m.b.H., qui y a également ajouté de nouveaux bâtiments.


    Kommandos
    nombre de Françaiseffectif maximum des détenusdates d’ouverture et de fermetureactivités des Kommandos et entreprises utilisatrices de la main d’œuvre
    42WienSaurer-Werke701 48011/10/43 – 03/05/45Usine d’armement (Saurer-Werke AG)

    Camps & Kommandos – MAUTHAUSEN

    Lors de la reception de cette carte postale adressée en allemand le 1 juillet 1943, son affectation est toujours l’usine Sauer Werk à Vienne.  Carte postale d’un germanophone en vacances de Karntin dans le sud de l’Autriche (la Carinthie) lui adressant ainsi qu’à ses « camarades connus » ses salutations de vacances.

    Ensuite, Fréderic a conservé une carte métallique en bon état, sur laquelle on peut lire que le 20/12/1944, il travaille à Vienne-Simmering dans l’usine Österreichische Saurerwerke AG) comme perceur (montrant un manque de bonne volonté d’après les très rares témoignages laissés oralement à son fils Jocelyn).

    À partir de l’été 1944, la situation a dû se dégrader brusquement pour Frédéric puisque l’entreprise emploie non seulement des travailleurs forcés civils mais aussi des prisonniers du camp de concentration de Mauthausen (qui était l’un des camps les plus sévères et des plus violents. Les conditions de travail étaient jugées particulièrement dures même selon les standards des camps de concentration). Le manque de main d’œuvre à la fin de la guerre (un nombre croissant d’Allemands était mobilisé dans la Wehrmacht) peut expliquer ce mélange qui a dû être très marquant d’être confronté aux destins bien plus tragiques des prisonniers du camp de concentration.

    Le 20 août 1944, le « camp satellite Saurerwerke » fut créé dans le quartier Simmering (11e arrondissement) de Vienne. Le premier convoi de Mauthausen transportait environ 140 prisonniers, qui furent hébergés dans un camp de baraques situé aux portes de l’usine, qui avait auparavant servi à détenir des civils et des prisonniers de guerre (dont Frédéric). Ainsi le nombre de prisonniers du sous-camp de Saurerwerke est passé de 150 à 1 000 ; deux mois plus tard, 1 391 personnes étaient détenues dans le camp. Fin février et début mars 1945, le nombre de prisonniers a atteint son maximum avec 1 480 personnes. La plupart des hommes étaient classés comme prisonniers « politiques». Ils venaient d’Allemagne, de France, de Grèce, d’Italie, de Yougoslavie, d’Autriche, des Pays-Bas, de Belgique, d’Espagne, du Luxembourg, de Pologne, d’Union soviétique, de Tchécoslovaquie et de Hongrie ; il y avait également plusieurs prisonniers juifs parmi eux. Le commandant du camp était Franz Kalteis, originaire de Vienne, qui avait été envoyé à Simmering depuis Mauthausen à l’initiative de l’organisation clandestine de résistance des prisonniers du camp de concentration. À la Saurerwerke également, une organisation clandestine de prisonniers s’est formée, composée de représentants de toutes les nations et de tous les courants (politiques) du camp. Elle a été mise en place et dirigée par Walter Ehlen (fonctionnaire de l’Association communiste allemande de la jeunesse).

    Travail forcé

    Avant l’Anschluss (annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie), l’usine Saurerwerke était spécialisée dans la fabrication de véhicules à chenilles et de camions et elle poursuivit sa production sous le régime nazi. Les prisonniers étaient uniquement affectés à la production de camions de transport de chars. Ils travaillaient dans le hall C de l’usine 2 (dont les fenêtres avaient été barricadées et où des murs supplémentaires avaient été construits). Les locaux de l’usine étant devenus trop petits, deux grandes salles situées au sous-sol du château voisin de Neugebäude furent également utilisées comme halls de production jusqu’en mars 1945. Les survivants rapportèrent plus tard qu’ils avaient souvent bénéficié de manifestations de solidarité de la part de travailleurs civils autrichiens et étrangers. À part cela, les conditions de travail étaient toutefois très dures. 40 prisonniers moururent dans le camp. Dix-sept autres ont perdu la vie dans le « camp infirmerie » après avoir été ramenés au Stalag de Mauthausen.

    Garde

    Le SS-Hauptsturmführer (chef d’assaut) Johann Gärtner était le commandant du camp ; le SS-Oberscharführer (chef d’escouade) Karl Kleine dirigeait le camp de détention préventive, et le SS-Oberscharführer Gerhard Wittkowski était le chef de service. Quatre officiers SS de Mauthausen, 46 sergents SS et 85 membres d’équipage SS étaient chargés de la garde des prisonniers.

    A la fin de la guerre à la fin mars 1945, l’Armée rouge venant de Hongrie, est en marche se rapprochant rapidement chaque jour davantage du camp. L’ordre est donné, comme dans tous les camps d’évacuer les détenus vers l’ouest entre fin mars et début avril, afin de les transférer dans un camp de prisonniers encore difficile à atteindre pour les troupes soviétiques.

    Franz Kalteis, prisonnier venant du camp de concentration de Mauthausen a, en tant que doyen du camp, assuré une rôle de représentation des prisonniers. Fin mars 1945, il lutta avec le commandant du camp, le SS-Hauptsturmführer Johann Gärtner, pour la vie de 190 prisonniers malades qui, selon un ordre central du commandant du camp de Mauthausen, devaient être assassinés avant l’évacuation des camps annexes. Franz Kalteis nous raconte ces heures :

    « Tard dans la soirée du dernier jour de mars, je fus convoqué chez le commandant du camp, Gärtner, où une discussion dramatique s’engagea.

    Gärtner, complètement désemparé, me demanda immédiatement combien de personnes étaient inaptes à la marche, c’est-à-dire malades. Comme je devinais facilement le contexte, j’exagérai le nombre et lui expliquai qu’environ 180 prisonniers ne seraient pas capables de supporter une longue marche à pied… À ce moment-là, j’expliquai calmement et sereinement à Gärtner que la guerre était perdue, soutenu par le grondement discret des canons. Je lui dis qu’en tant que Viennois, lui seul ne pouvait tuer près de 200 personnes ici, en pleine ville, sans que des milliers de témoins ne le tiennent responsable plus tard. Bref, je réussis à convaincre le commandant du camp d’accepter que les prisonniers souffrant de plaies aux pieds et autres maladies soient laissés sans gardes au camp. »

    Le 1er avril, des préparatifs furent entrepris pour l’évacuation du camp. Le lendemain, 1 276 prisonniers furent envoyés en marche d’évacuation en trois colonnes (dirigées par les SS-Oberscharführer Karl Kleine, Josef Plehar et Gerhard Wittkowski),. De Simmering, ils traversèrent Purkersdorf, St. Pölten, Man, Scheibbs, Gresten, Randegg et Seitenstetten jusqu’à Steyr. De nombreux prisonniers furent abattus par les SS pendant la marche et plusieurs moururent d’épuisement. 25 prisonniers réussirent à s’échapper. Le 23 avril 1945, 1 076 prisonniers arrivèrent au sous-camp de Steyr-Münichholz. Une semaine plus tard, le 30 avril, 497 d’entre eux furent transférés au Stalag de Mauthausen.

    190 prisonniers incapables de marcher furent abandonnés au camp de Saurer-Werke, parmi lesquels des prisonniers originaires d’Allemagne, de France, de Grèce, d’Italie, d’ex-Yougoslavie, des Pays-Bas, de Pologne, d’ex-Union soviétique, de République tchèque et de Hongrie. 33 d’entre eux étaient juifs. Ils furent libérés par les troupes soviétiques le 8 avril 1945. 

    Il est plus que vraisemblable que Frederic a fait partie de ces 190 prisonniers incapables de marcher dont le destin a failli basculer vers une fin tragique à la fin de la guerre. Libérés par l’armée russe qui au lieu de le rapatrier à l’ouest, les ont emmené vers l’est dans un périple à travers l’Europe (Autriche, Hongrie, Roumanie, Ukraine, Pologne) pour atteindre la Biélorussie.  

    On retrouve dans son carnet le départ de Vienne le 8 avril 1945 (tout en haut, écriture légement effacée).  Et puis, on a retrouvé une liste d’une trentaine de noms de lieux, qui étaient d’origine germanique, hongrois, roumains puis slave. Reconstituant cette liste sur googlemap, on s’aperçoit que cela constitue un chemin menant d’Autriche jusqu’en Biélorussie.  

    Durant les mois d’avril et mai 1945, ils font ce parcours en train et à pied d’après des témoignages d’autres camarades d’infortune ayant écrit leur périple. « Ils cueillent sur le bord de la route de l’oseille et des feuilles de frênes pour faire de la soupe. Ils sont dirigés à pied vers Budapest par les russes, leurs ballots dans des charrettes tirées par des bœufs. Mais dans cette capitale, ils furent livrés à eux-mêmes.Les officiers français prirent leurs soldats en main, disciplinés, en rang. Ils contactent les officiers russes qui leur indiquent une caserne où ils se reposent et se restaurent. Ensuite, ils prennent le train pour Odessa. »

    Il faut imaginer des nombreux transferts en train, à pied ou en camion vu l’état désastreux des infrastructures ferroviaires et routières à la sortie de la guerre.

     Dans son carnet toujours, on retrouve des étapes avec des dates  :Wien le 8 avril, Sopron (Hongrie) arrivé le 16 avril et reparti le 29 avril. Szombathely (Hongrie), Sarvar, (Hongrie), Celldömölk (Hongrie), Veszprém (Hongrie) arrivé le 2 mai reparti le 20 mai, Székesfehérvár  (Hongrie), Martonvásár  (Hongrie), Budapest,

    “Királyháza (Hongrie ou Ukraine?) 4 jours du 28 au 31 (mai).

    Passé dans les Karpatte le samedi au dimanche au midi, le lundi, on a passé un vrai désert, arrivée le 6 juin à  Starie Dorogi (Staryye Dorogi) Staryya Darohi – Wikipedia

    Nous n’avons pas retrouvé de document écrit sur son rapatriement une fois la guerre terminée. Frédéric comme tous les anciens combattants ne parlaient pas ou peu de ce qui avaient été leurs épreuves, en tant cas, rarement à leurs enfants. Cela a été une hypothèse depuis la découverte de son carnet en 2021 jusqu’à une rencontre fortuite en août 2025 avec Odile HUET dans son domicile (93 ans, épouse de son fils Réné), qui se souvenait parfaitement que Frédéric a déclaré être revenu de Russie. Odile a indiqué qu’il est revenu bien plus tard que les autres prisonniers, après la fête de célébration du retour des prisonniers dans son canton et que sa famille le croyait disparu. 

    L’armée russe a fait subir cette épreuve à des dizaines de milliers de prisonniers occidentaux.

    Il reste encore une part de doute sur le chemin du retour de Minsk vers la France. D’après le carnet, il semblerait qu’il ait été rapatrié par la traversée de la Pologne, l’Allemagne (en passant par Berlin) et Belgique contrairement à une grande partie des prisonniers rapatriée par voie maritime d’Odessa en Ukraine vers Marseille. Beaucoup de récits nous disent que les prisonniers “libérés” par la Russes ont d’abord été envoyés vers Odessa, dans un premier temps pour des rapatriements en bateaux. Puis il y a eu changement : pour beaucoup à mi-parcours quelque part en Ukraine, ils ont fait demi-tour pour repartir vers Berlin …puis Magdebourg…puis la Belgique. Est toujours en cours une recherche d’une trace, d’un document témoignant de ce périple long et certainement plein d’embûches à travers une Europe complétement dévastée.

    Primo Levi, juif italien et écrivain de nombreuses ouvrages, le raconte dans son œuvre autobiographique, la Trêve que je vous conseille. Le groupe composé principalement d’Italiens et de Roumains, auquel il appartenait est arrivé en Juillet, juste aprés le départ d’un groupe de Français (dont faisait partie Frédéric).

    « Although liberated on 27 January 1945, Levi did not reach Turin until 19 October 1945. After spending some time in a Soviet camp for former concentration camp inmates, he embarked on an arduous journey home in the company of former Italian prisoners of war who had been part of the Italian Army in Russia. The long railway journey home to Turin took him on a circuitous route from Poland, through Belarus, Ukraine, Romania, Hungary, Austria, and Germany – an arduous journey described especially in his 1963 work The Truce – noting the millions of displaced people on the roads and trains throughout Europe in that period”

    Les prisonniers de guerre français sont bien souvent les grands oubliés de l’histoire, le drame etles souffrances physiques et morales de ces hommes qui ont perdu cinq ans de leur vie et pour certains la vie. On mesure la résonance que le sort des prisonniers a pu avoir sur une majorité de français, dont la vie fut tout autant bouleversée, surajoutant aux difficultés de l’occupation. Presque toutes les familles sont touchées directement ou indirectement, leur absence va peser sur la vie économique, la vie familiale, laisser des femmes et des enfants face aux difficultés du quotidien…

  • Par cet article, je voudrais partager les éléments retrouvés pour ce qui a été une terrible épreuve pour mon grand-père paternel, d’être déporté dans des camps de travail comme pour près de 1,6 millions de prisonniers français. A l’issue de cette longue période de 6 années dans des camps en Autriche, une épreuve supplémentaire l’attendait :  libéré en avril 1945 par l’armée russe qui au lieu de le rapatrier vers l’ouest, l’a emmené plus loin vers l’est dans un long périple insensé à travers l’Europe centrale puis de l’Est (Autriche, Hongrie, Roumanie, Ukraine, Pologne et Biélorussie) pour atteindre Minsk.  

    Lors du début de la Seconde Guerre mondiale, Frederic HUET est mobilisé dès le 27 aout 1939 lorsqu’il avait déjà environ 37 ans (marié à 23 ans). Il avait alors 2 enfants, Roger (12 ans) et Madeleine (8 ans). Grade: caporal. Du fait de son âge, il a été incorporé dans le régiment régional 91ème R.R., qui est un régiment de réserve de l’armée de terre française, formé de soldats âgés, chargé de garder les lignes arrière, à l’image de l’infanterie territoriale de la Grande Guerre. 

    Photo de Frédéric probablement avant la guerre :

    Débute la « drôle de guerre » jusqu’à l’offensive allemande le 5 mai 1940. Le 10 juin, le front est percé sur la Somme. Les Allemands prennent Paris le 14 juin, puis Orléans le 16 juin.  Il est fait prisonnier le 27 juin 1940 à Lencloitre (département de la Vienne – proche de Châtellerault – lors de surveillance de voies ferrées selon son fils Jocelyn) matricule 1711.

    Il est ensuite déporté le 6 Janvier 1941 vers le stalag (abréviation of Stammlager, camp pour) XVIIA à Kaisersteinbruch à coté de Vienne (Autriche, matricule 4407 (Kommandos 61338,  114 410,   A67G Sittendorf). Un stalag, abréviation de Stammlager « camp de base de prisonniers de guerre », désigne un site destiné à détenir les soldats de rang et leurs sous-officiers. Camp de prisonniers, établi en Allemagne ou dans les pays occupés pendant la Seconde Guerre mondiale.

    Selon son carnet, il a écrit : « on est arrivé au campement en Autriche le 10/01/41, on a été 8 jours, après ils nous ont emmenés pour travailler sur les autoroutes. Après ils nous ont emmenés à Vienne pour travailler en usine”. Il a donc dans un premier temps, participé alors à la construction de ce qui est aujourd’hui l’autoroute A21 à Sittendorf à une dizaine de kms au sud-ouest de Vienne, puis transféré dans une usine dans un quartier sud de Vienne, probablement dans le cadre de ce qu’on appelle un kommando de travail.

    Chaque camp était constitué d’un camp central et de kommandos de travail pouvant grouper de quelques hommes (fermes agricoles) jusqu’à plusieurs centaines (chantiers, usines, mines). Neuf prisonniers sur dix étaient utilisés dans les kommandos de travail.

    Stalag XVII A Construction d’une autoroute 

    Kaisersteinbruch  est un petit village situé à quelques kilomètres au sud de Brück et nommé : “la carrière de pierres de l’empereur”. C’était un joli village du Burgenland, serré autour d’une petite église baroque mais, malheureusement, flanqué à l’est d’un horrible camp de prisonniers avec miradors et barbelés.

    En janvier 1941FrancaisBelgesPolonaisTotal
    Officiers97000970
    Soldats et Sous-officiers65.4415.6422.50073.583
    Civils1464232220

    En raison du grand nombre de prisonniers de guerre décédés lors de l’hiver 1941-1942, un cimetière de camp avec des fosses communes fut construit à quelques centaines de mètres du camp. Le traité d’État du 15 mai 1955 mentionne 9 584 soldats soviétiques décédés, qui étaient les plus mal traités par les Allemands.

    Les années suivantes, le nombre de détenus oscille entre 25.500 et 53.000. En février 1945, le rapport de contrôle de l’IRKR fait état d’un total de 26.470 prisonniers.

    Noel 1940 photo prise dans le réfectoire du Stalag XVII A de Kaisersteinbruch

    Récit fait par un prisonnier de ce camp Stalag XVII A:

    « Très vite, la famine s’installa, touchant surtout ceux qui, comme moi, ne recevaient que très peu, sinon pas du tout, de colis. Certaines familles, plus au courant que d’autres, avaient réagi très vite et expédié à “leur” prisonnier des colis de victuailles sans lesquelles il n’était guère possible de survivre. Bien entendu, les plus favorisés aidaient les autres mais cela ne pouvait aller très loin car, comment s’intégrer à une “popote” convenablement ravitaillée lorsque l’on n’a rien à apporter, ce qui était mon cas.

    Comme la plupart de jeunes du camp, je souffrais terriblement de la faim; j’avais beaucoup maigri, ma tension était probablement très basse car je devais faire attention aux vertiges qui me prenaient lorsque je passais de la position couchée à la position verticale et d’ailleurs, comment en aurait-il été autrement avec le régime alimentaire qui nous était octroyé?

    LE MATIN: un verre de décoction d’orge baptisé” “café”.

    A MIDI: un demi-litre d’eau chaude où traînaient, çà et là, quelques morceaux de rutabaga et quelquefois, miracle, un morceau de pomme de terre!

    LE SOIR: un pain militaire pour cinq ou pour six, selon les jours, soit la valeur de trois ou quatre tranches, accompagné d’une cuillère de mélasse, ou de margarine, ou d’un petit morceau de fromage assez mauvais. 

    Les rations alimentaires étaient maigres, au Stalag XVII A. Elles s’établissaient ainsi par homme et par semaine : 2425 grammes de pain ; 250 grammes de viande ; 2800 grammes de pommes de terre ; 150 grammes de farine ; 175 grammes de sucre ; quant aux légumes, cela variait en fonction des arrivages. Le menu type se composait d’une ration de pain journalière donnée le matin, d’une soupe dite « La Grayette » pour le midi, composée de pommes de terre et de rutabagas non épluchés, agrémentée d’orties. Dans ce brouet terreux, quelques cartilages figuraient la viande, le tout distribué dans des sceaux de 20 litres. Le soir, les prisonniers recevaient une nouvelle décoction appelée officiellement « Café » avec un cube de margarine synthétique.

    « C’était même parfois tellement mauvais qu’une crise de foie vous évitait de souffrir de la faim pendant un ou deux jours. Pour moi, la dominante de cette période a certainement été LA FAIM et je crois pouvoir dire que j’ai souffert de la faim pendant deux ans et que je ne pouvais penser qu’à ça. D’ailleurs, très vite, et surtout parmi les jeunes, apparurent des cas de tuberculose pulmonaire à développement rapide que l’on appelait, à l’époque “phtisie galopante”. Dès que le médecin du camp avait posé le diagnostic, le jeune garçon était expédié vers la France où, en général, il n’arrivait pas vivant. Les cas étaient de plus en plus nombreux et tous étaient mortels. » »

    De cette période, Frederic a gardé quelques photos avec ses camarades qui le surnomment « papy », on espère affectueusement :  quadragénaire, il a, en effet, quasiment le double de l’âge de ses camarades.  

    D’après ce qu’on retrouve, il semble qu’il ne soit pas resté longtemps dans le campement même du Stalag XVIIA et qu’il n’a pas forcément connu très longuement ces conditions d’enfermement dans ces baraquements décrites ci-dessous.  Ainsi, d’après quelques traces (écrits sommaires dans son carnet et quelques documents ci-dessous), il semble qu’il soit parti rapidement ce de camp pour être affectaté à des  travaux d’autoroute qui ont lieu en 1941. Ensuite, il a été affecté dans une usine autrichienne Saurerwerke AG à Vienne (fondée en 1906, la société est un important constructeur de véhicules utilitaires qui fabriquait des camions et des bus de 1906 à 1969) et y est resté vraisemblablement jusqu’en avril 1945. 

    Les halls de l’usine Saurerwerke étaient situés au 22 Haidestraße/Oriongasse, dans le 11e arrondissement. Ils existent encore aujourd’hui. Les anciens locaux de l’usine sont utilisés par la société LGV Frischgemüse Wien reg. Gen.m.b.H., qui y a également ajouté de nouveaux bâtiments.


    Kommandos
    nombre de Françaiseffectif maximum des détenusdates d’ouverture et de fermetureactivités des Kommandos et entreprises utilisatrices de la main d’œuvre
    42WienSaurer-Werke701 48011/10/43 – 03/05/45Usine d’armement (Saurer-Werke AG)

    Camps & Kommandos – MAUTHAUSEN

    Lors de la reception de cette carte postale adressée en allemand le 1 juillet 1943, son affectation est toujours l’usine Sauer Werk à Vienne.  Carte postale d’un germanophone en vacances de Karntin dans le sud de l’Autriche (la Carinthie) lui adressant ainsi qu’à ses « camarades connus » ses salutations de vacances.

    Ensuite, Fréderic a conservé une carte métallique en bon état, sur laquelle on peut lire que le 20/12/1944, il travaille à Vienne-Simmering dans l’usine Österreichische Saurerwerke AG) comme perceur (montrant un manque de bonne volonté d’après les très rares témoignages laissés oralement à son fils Jocelyn).

    À partir de l’été 1944, la situation a dû se dégrader brusquement pour Frédéric puisque l’entreprise emploie non seulement des travailleurs forcés civils mais aussi des prisonniers du camp de concentration de Mauthausen (qui était l’un des camps les plus sévères et des plus violents. Les conditions de travail étaient jugées particulièrement dures même selon les standards des camps de concentration). Le manque de main d’œuvre à la fin de la guerre (un nombre croissant d’Allemands était mobilisé dans la Wehrmacht) peut expliquer ce mélange qui a dû être très marquant d’être confronté aux destins bien plus tragiques des prisonniers du camp de concentration.

    Le 20 août 1944, le « camp satellite Saurerwerke » fut créé dans le quartier Simmering (11e arrondissement) de Vienne. Le premier convoi de Mauthausen transportait environ 140 prisonniers, qui furent hébergés dans un camp de baraques situé aux portes de l’usine, qui avait auparavant servi à détenir des civils et des prisonniers de guerre (dont Frédéric). Ainsi le nombre de prisonniers du sous-camp de Saurerwerke est passé de 150 à 1 000 ; deux mois plus tard, 1 391 personnes étaient détenues dans le camp. Fin février et début mars 1945, le nombre de prisonniers a atteint son maximum avec 1 480 personnes. La plupart des hommes étaient classés comme prisonniers « politiques». Ils venaient d’Allemagne, de France, de Grèce, d’Italie, de Yougoslavie, d’Autriche, des Pays-Bas, de Belgique, d’Espagne, du Luxembourg, de Pologne, d’Union soviétique, de Tchécoslovaquie et de Hongrie ; il y avait également plusieurs prisonniers juifs parmi eux. Le commandant du camp était Franz Kalteis, originaire de Vienne, qui avait été envoyé à Simmering depuis Mauthausen à l’initiative de l’organisation clandestine de résistance des prisonniers du camp de concentration. À la Saurerwerke également, une organisation clandestine de prisonniers s’est formée, composée de représentants de toutes les nations et de tous les courants (politiques) du camp. Elle a été mise en place et dirigée par Walter Ehlen (fonctionnaire de l’Association communiste allemande de la jeunesse).

    Travail forcé

    Avant l’Anschluss (annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie), l’usine Saurerwerke était spécialisée dans la fabrication de véhicules à chenilles et de camions et elle poursuivit sa production sous le régime nazi. Les prisonniers étaient uniquement affectés à la production de camions de transport de chars. Ils travaillaient dans le hall C de l’usine 2 (dont les fenêtres avaient été barricadées et où des murs supplémentaires avaient été construits). Les locaux de l’usine étant devenus trop petits, deux grandes salles situées au sous-sol du château voisin de Neugebäude furent également utilisées comme halls de production jusqu’en mars 1945. Les survivants rapportèrent plus tard qu’ils avaient souvent bénéficié de manifestations de solidarité de la part de travailleurs civils autrichiens et étrangers. À part cela, les conditions de travail étaient toutefois très dures. 40 prisonniers moururent dans le camp. Dix-sept autres ont perdu la vie dans le « camp infirmerie » après avoir été ramenés au Stalag de Mauthausen.

    Garde

    Le SS-Hauptsturmführer (chef d’assaut) Johann Gärtner était le commandant du camp ; le SS-Oberscharführer (chef d’escouade) Karl Kleine dirigeait le camp de détention préventive, et le SS-Oberscharführer Gerhard Wittkowski était le chef de service. Quatre officiers SS de Mauthausen, 46 sergents SS et 85 membres d’équipage SS étaient chargés de la garde des prisonniers.

    A la fin de la guerre à la fin mars 1945, l’Armée rouge venant de Hongrie, est en marche se rapprochant rapidement chaque jour davantage du camp. L’ordre est donné, comme dans tous les camps d’évacuer les détenus vers l’ouest entre fin mars et début avril, afin de les transférer dans un camp de prisonniers encore difficile à atteindre pour les troupes soviétiques.

    Franz Kalteis, prisonnier venant du camp de concentration de Mauthausen a, en tant que doyen du camp, assuré une rôle de représentation des prisonniers. Fin mars 1945, il lutta avec le commandant du camp, le SS-Hauptsturmführer Johann Gärtner, pour la vie de 190 prisonniers malades qui, selon un ordre central du commandant du camp de Mauthausen, devaient être assassinés avant l’évacuation des camps annexes. Franz Kalteis nous raconte ces heures :

    « Tard dans la soirée du dernier jour de mars, je fus convoqué chez le commandant du camp, Gärtner, où une discussion dramatique s’engagea.

    Gärtner, complètement désemparé, me demanda immédiatement combien de personnes étaient inaptes à la marche, c’est-à-dire malades. Comme je devinais facilement le contexte, j’exagérai le nombre et lui expliquai qu’environ 180 prisonniers ne seraient pas capables de supporter une longue marche à pied… À ce moment-là, j’expliquai calmement et sereinement à Gärtner que la guerre était perdue, soutenu par le grondement discret des canons. Je lui dis qu’en tant que Viennois, lui seul ne pouvait tuer près de 200 personnes ici, en pleine ville, sans que des milliers de témoins ne le tiennent responsable plus tard. Bref, je réussis à convaincre le commandant du camp d’accepter que les prisonniers souffrant de plaies aux pieds et autres maladies soient laissés sans gardes au camp. »

    Le 1er avril, des préparatifs furent entrepris pour l’évacuation du camp. Le lendemain, 1 276 prisonniers furent envoyés en marche d’évacuation en trois colonnes (dirigées par les SS-Oberscharführer Karl Kleine, Josef Plehar et Gerhard Wittkowski),. De Simmering, ils traversèrent Purkersdorf, St. Pölten, Man, Scheibbs, Gresten, Randegg et Seitenstetten jusqu’à Steyr. De nombreux prisonniers furent abattus par les SS pendant la marche et plusieurs moururent d’épuisement. 25 prisonniers réussirent à s’échapper. Le 23 avril 1945, 1 076 prisonniers arrivèrent au sous-camp de Steyr-Münichholz. Une semaine plus tard, le 30 avril, 497 d’entre eux furent transférés au Stalag de Mauthausen.

    190 prisonniers incapables de marcher furent abandonnés au camp de Saurer-Werke, parmi lesquels des prisonniers originaires d’Allemagne, de France, de Grèce, d’Italie, d’ex-Yougoslavie, des Pays-Bas, de Pologne, d’ex-Union soviétique, de République tchèque et de Hongrie. 33 d’entre eux étaient juifs. Ils furent libérés par les troupes soviétiques le 8 avril 1945. 

    Il est plus que vraisemblable que Frederic a fait partie de ces 190 prisonniers incapables de marcher dont le destin a failli basculer vers une fin tragique à la fin de la guerre. Libérés par l’armée russe qui au lieu de le rapatrier à l’ouest, les ont emmené vers l’est dans un périple à travers l’Europe (Autriche, Hongrie, Roumanie, Ukraine, Pologne) pour atteindre la Biélorussie.  

    On retrouve dans son carnet le départ de Vienne le 8 avril 1945 (tout en haut, écriture légement effacée).  Et puis, on a retrouvé une liste d’une trentaine de noms de lieux, qui étaient d’origine germanique, hongrois, roumains puis slave. Reconstituant cette liste sur googlemap, on s’aperçoit que cela constitue un chemin menant d’Autriche jusqu’en Biélorussie.  

    Durant les mois d’avril et mai 1945, ils font ce parcours en train et à pied d’après des témoignages d’autres camarades d’infortune ayant écrit leur périple. « Ils cueillent sur le bord de la route de l’oseille et des feuilles de frênes pour faire de la soupe. Ils sont dirigés à pied vers Budapest par les russes, leurs ballots dans des charrettes tirées par des bœufs. Mais dans cette capitale, ils furent livrés à eux-mêmes.Les officiers français prirent leurs soldats en main, disciplinés, en rang. Ils contactent les officiers russes qui leur indiquent une caserne où ils se reposent et se restaurent. Ensuite, ils prennent le train pour Odessa. »

    Il faut imaginer des nombreux transferts en train, à pied ou en camion vu l’état désastreux des infrastructures ferroviaires et routières à la sortie de la guerre.

     Dans son carnet toujours, on retrouve des étapes avec des dates  :Wien le 8 avril, Sopron (Hongrie) arrivé le 16 avril et reparti le 29 avril. Szombathely (Hongrie), Sarvar, (Hongrie), Celldömölk (Hongrie), Veszprém (Hongrie) arrivé le 2 mai reparti le 20 mai, Székesfehérvár  (Hongrie), Martonvásár  (Hongrie), Budapest,

    “Királyháza (Hongrie ou Ukraine?) 4 jours du 28 au 31 (mai).

    Passé dans les Karpatte le samedi au dimanche au midi, le lundi, on a passé un vrai désert, arrivée le 6 juin à  Starie Dorogi (Staryye Dorogi) Staryya Darohi – Wikipedia

    Nous n’avons pas retrouvé de document écrit sur son rapatriement une fois la guerre terminée. Frédéric comme tous les anciens combattants ne parlaient pas ou peu de ce qui avaient été leurs épreuves, en tant cas, rarement à leurs enfants. Cela a été une hypothèse depuis la découverte de son carnet en 2021 jusqu’à une rencontre fortuite en août 2025 avec Odile HUET dans son domicile (93 ans, épouse de son fils Réné), qui se souvenait parfaitement que Frédéric a déclaré être revenu de Russie. Odile a indiqué qu’il est revenu bien plus tard que les autres prisonniers, après la fête de célébration du retour des prisonniers dans son canton et que sa famille le croyait disparu. 

    L’armée russe a fait subir cette épreuve à des dizaines de milliers de prisonniers occidentaux.

    Il reste encore une part de doute sur le chemin du retour de Minsk vers la France. D’après le carnet, il semblerait qu’il ait été rapatrié par la traversée de la Pologne, l’Allemagne (en passant par Berlin) et Belgique contrairement à une grande partie des prisonniers rapatriée par voie maritime d’Odessa en Ukraine vers Marseille. Beaucoup de récits nous disent que les prisonniers “libérés” par la Russes ont d’abord été envoyés vers Odessa, dans un premier temps pour des rapatriements en bateaux. Puis il y a eu changement : pour beaucoup à mi-parcours quelque part en Ukraine, ils ont fait demi-tour pour repartir vers Berlin …puis Magdebourg…puis la Belgique. Est toujours en cours une recherche d’une trace, d’un document témoignant de ce périple long et certainement plein d’embûches à travers une Europe complétement dévastée.

    Primo Levi, juif italien et écrivain de nombreuses ouvrages, le raconte dans son œuvre autobiographique, la Trêve que je vous conseille. Le groupe composé principalement d’Italiens et de Roumains, auquel il appartenait est arrivé en Juillet, juste aprés le départ d’un groupe de Français (dont faisait partie Frédéric).

    « Although liberated on 27 January 1945, Levi did not reach Turin until 19 October 1945. After spending some time in a Soviet camp for former concentration camp inmates, he embarked on an arduous journey home in the company of former Italian prisoners of war who had been part of the Italian Army in Russia. The long railway journey home to Turin took him on a circuitous route from Poland, through Belarus, Ukraine, Romania, Hungary, Austria, and Germany – an arduous journey described especially in his 1963 work The Truce – noting the millions of displaced people on the roads and trains throughout Europe in that period”

    Les prisonniers de guerre français sont bien souvent les grands oubliés de l’histoire, le drame etles souffrances physiques et morales de ces hommes qui ont perdu cinq ans de leur vie et pour certains la vie. On mesure la résonance que le sort des prisonniers a pu avoir sur une majorité de français, dont la vie fut tout autant bouleversée, surajoutant aux difficultés de l’occupation. Presque toutes les familles sont touchées directement ou indirectement, leur absence va peser sur la vie économique, la vie familiale, laisser des femmes et des enfants face aux difficultés du quotidien…

  • Par cet article, je voudrais partager les éléments retrouvés pour ce qui a été une terrible épreuve pour mon grand-père paternel, d’être déporté dans des camps de travail comme pour près de 1,6 millions de prisonniers français. A l’issue de cette longue période de 6 années dans des camps en Autriche, une épreuve supplémentaire l’attendait :  libéré en avril 1945 par l’armée russe qui au lieu de le rapatrier vers l’ouest, l’a emmené plus loin vers l’est dans un long périple insensé à travers l’Europe centrale puis de l’Est (Autriche, Hongrie, Roumanie, Ukraine, Pologne et Biélorussie) pour atteindre Minsk.  

    Lors du début de la Seconde Guerre mondiale, Frederic HUET est mobilisé dès le 27 aout 1939 lorsqu’il avait déjà environ 37 ans (marié à 23 ans). Il avait alors 2 enfants, Roger (12 ans) et Madeleine (8 ans). Grade: caporal. Du fait de son âge, il a été incorporé dans le régiment régional 91ème R.R., qui est un régiment de réserve de l’armée de terre française, formé de soldats âgés, chargé de garder les lignes arrière, à l’image de l’infanterie territoriale de la Grande Guerre. 

    Photo de Frédéric probablement avant la guerre :

    Débute la « drôle de guerre » jusqu’à l’offensive allemande le 5 mai 1940. Le 10 juin, le front est percé sur la Somme. Les Allemands prennent Paris le 14 juin, puis Orléans le 16 juin.  Il est fait prisonnier le 27 juin 1940 à Lencloitre (département de la Vienne – proche de Châtellerault – lors de surveillance de voies ferrées selon son fils Jocelyn) matricule 1711.

    Il est ensuite déporté le 6 Janvier 1941 vers le stalag (abréviation of Stammlager, camp pour) XVIIA à Kaisersteinbruch à coté de Vienne (Autriche, matricule 4407 (Kommandos 61338,  114 410,   A67G Sittendorf). Un stalag, abréviation de Stammlager « camp de base de prisonniers de guerre », désigne un site destiné à détenir les soldats de rang et leurs sous-officiers. Camp de prisonniers, établi en Allemagne ou dans les pays occupés pendant la Seconde Guerre mondiale.

    Selon son carnet, il a écrit : « on est arrivé au campement en Autriche le 10/01/41, on a été 8 jours, après ils nous ont emmenés pour travailler sur les autoroutes. Après ils nous ont emmenés à Vienne pour travailler en usine”. Il a donc dans un premier temps, participé alors à la construction de ce qui est aujourd’hui l’autoroute A21 à Sittendorf à une dizaine de kms au sud-ouest de Vienne, puis transféré dans une usine dans un quartier sud de Vienne, probablement dans le cadre de ce qu’on appelle un kommando de travail.

    Chaque camp était constitué d’un camp central et de kommandos de travail pouvant grouper de quelques hommes (fermes agricoles) jusqu’à plusieurs centaines (chantiers, usines, mines). Neuf prisonniers sur dix étaient utilisés dans les kommandos de travail.

    Stalag XVII A Construction d’une autoroute 

    Kaisersteinbruch  est un petit village situé à quelques kilomètres au sud de Brück et nommé : “la carrière de pierres de l’empereur”. C’était un joli village du Burgenland, serré autour d’une petite église baroque mais, malheureusement, flanqué à l’est d’un horrible camp de prisonniers avec miradors et barbelés.

    En janvier 1941FrancaisBelgesPolonaisTotal
    Officiers97000970
    Soldats et Sous-officiers65.4415.6422.50073.583
    Civils1464232220

    En raison du grand nombre de prisonniers de guerre décédés lors de l’hiver 1941-1942, un cimetière de camp avec des fosses communes fut construit à quelques centaines de mètres du camp. Le traité d’État du 15 mai 1955 mentionne 9 584 soldats soviétiques décédés, qui étaient les plus mal traités par les Allemands.

    Les années suivantes, le nombre de détenus oscille entre 25.500 et 53.000. En février 1945, le rapport de contrôle de l’IRKR fait état d’un total de 26.470 prisonniers.

    Noel 1940 photo prise dans le réfectoire du Stalag XVII A de Kaisersteinbruch

    Récit fait par un prisonnier de ce camp Stalag XVII A:

    « Très vite, la famine s’installa, touchant surtout ceux qui, comme moi, ne recevaient que très peu, sinon pas du tout, de colis. Certaines familles, plus au courant que d’autres, avaient réagi très vite et expédié à “leur” prisonnier des colis de victuailles sans lesquelles il n’était guère possible de survivre. Bien entendu, les plus favorisés aidaient les autres mais cela ne pouvait aller très loin car, comment s’intégrer à une “popote” convenablement ravitaillée lorsque l’on n’a rien à apporter, ce qui était mon cas.

    Comme la plupart de jeunes du camp, je souffrais terriblement de la faim; j’avais beaucoup maigri, ma tension était probablement très basse car je devais faire attention aux vertiges qui me prenaient lorsque je passais de la position couchée à la position verticale et d’ailleurs, comment en aurait-il été autrement avec le régime alimentaire qui nous était octroyé?

    LE MATIN: un verre de décoction d’orge baptisé” “café”.

    A MIDI: un demi-litre d’eau chaude où traînaient, çà et là, quelques morceaux de rutabaga et quelquefois, miracle, un morceau de pomme de terre!

    LE SOIR: un pain militaire pour cinq ou pour six, selon les jours, soit la valeur de trois ou quatre tranches, accompagné d’une cuillère de mélasse, ou de margarine, ou d’un petit morceau de fromage assez mauvais. 

    Les rations alimentaires étaient maigres, au Stalag XVII A. Elles s’établissaient ainsi par homme et par semaine : 2425 grammes de pain ; 250 grammes de viande ; 2800 grammes de pommes de terre ; 150 grammes de farine ; 175 grammes de sucre ; quant aux légumes, cela variait en fonction des arrivages. Le menu type se composait d’une ration de pain journalière donnée le matin, d’une soupe dite « La Grayette » pour le midi, composée de pommes de terre et de rutabagas non épluchés, agrémentée d’orties. Dans ce brouet terreux, quelques cartilages figuraient la viande, le tout distribué dans des sceaux de 20 litres. Le soir, les prisonniers recevaient une nouvelle décoction appelée officiellement « Café » avec un cube de margarine synthétique.

    « C’était même parfois tellement mauvais qu’une crise de foie vous évitait de souffrir de la faim pendant un ou deux jours. Pour moi, la dominante de cette période a certainement été LA FAIM et je crois pouvoir dire que j’ai souffert de la faim pendant deux ans et que je ne pouvais penser qu’à ça. D’ailleurs, très vite, et surtout parmi les jeunes, apparurent des cas de tuberculose pulmonaire à développement rapide que l’on appelait, à l’époque “phtisie galopante”. Dès que le médecin du camp avait posé le diagnostic, le jeune garçon était expédié vers la France où, en général, il n’arrivait pas vivant. Les cas étaient de plus en plus nombreux et tous étaient mortels. » »

    De cette période, Frederic a gardé quelques photos avec ses camarades qui le surnomment « papy », on espère affectueusement :  quadragénaire, il a, en effet, quasiment le double de l’âge de ses camarades.  

    D’après ce qu’on retrouve, il semble qu’il ne soit pas resté longtemps dans le campement même du Stalag XVIIA et qu’il n’a pas forcément connu très longuement ces conditions d’enfermement dans ces baraquements décrites ci-dessous.  Ainsi, d’après quelques traces (écrits sommaires dans son carnet et quelques documents ci-dessous), il semble qu’il soit parti rapidement ce de camp pour être affectaté à des  travaux d’autoroute qui ont lieu en 1941. Ensuite, il a été affecté dans une usine autrichienne Saurerwerke AG à Vienne (fondée en 1906, la société est un important constructeur de véhicules utilitaires qui fabriquait des camions et des bus de 1906 à 1969) et y est resté vraisemblablement jusqu’en avril 1945. 

    Les halls de l’usine Saurerwerke étaient situés au 22 Haidestraße/Oriongasse, dans le 11e arrondissement. Ils existent encore aujourd’hui. Les anciens locaux de l’usine sont utilisés par la société LGV Frischgemüse Wien reg. Gen.m.b.H., qui y a également ajouté de nouveaux bâtiments.


    Kommandos
    nombre de Françaiseffectif maximum des détenusdates d’ouverture et de fermetureactivités des Kommandos et entreprises utilisatrices de la main d’œuvre
    42WienSaurer-Werke701 48011/10/43 – 03/05/45Usine d’armement (Saurer-Werke AG)

    Camps & Kommandos – MAUTHAUSEN

    Lors de la reception de cette carte postale adressée en allemand le 1 juillet 1943, son affectation est toujours l’usine Sauer Werk à Vienne.  Carte postale d’un germanophone en vacances de Karntin dans le sud de l’Autriche (la Carinthie) lui adressant ainsi qu’à ses « camarades connus » ses salutations de vacances.

    Ensuite, Fréderic a conservé une carte métallique en bon état, sur laquelle on peut lire que le 20/12/1944, il travaille à Vienne-Simmering dans l’usine Österreichische Saurerwerke AG) comme perceur (montrant un manque de bonne volonté d’après les très rares témoignages laissés oralement à son fils Jocelyn).

    À partir de l’été 1944, la situation a dû se dégrader brusquement pour Frédéric puisque l’entreprise emploie non seulement des travailleurs forcés civils mais aussi des prisonniers du camp de concentration de Mauthausen (qui était l’un des camps les plus sévères et des plus violents. Les conditions de travail étaient jugées particulièrement dures même selon les standards des camps de concentration). Le manque de main d’œuvre à la fin de la guerre (un nombre croissant d’Allemands était mobilisé dans la Wehrmacht) peut expliquer ce mélange qui a dû être très marquant d’être confronté aux destins bien plus tragiques des prisonniers du camp de concentration.

    Le 20 août 1944, le « camp satellite Saurerwerke » fut créé dans le quartier Simmering (11e arrondissement) de Vienne. Le premier convoi de Mauthausen transportait environ 140 prisonniers, qui furent hébergés dans un camp de baraques situé aux portes de l’usine, qui avait auparavant servi à détenir des civils et des prisonniers de guerre (dont Frédéric). Ainsi le nombre de prisonniers du sous-camp de Saurerwerke est passé de 150 à 1 000 ; deux mois plus tard, 1 391 personnes étaient détenues dans le camp. Fin février et début mars 1945, le nombre de prisonniers a atteint son maximum avec 1 480 personnes. La plupart des hommes étaient classés comme prisonniers « politiques». Ils venaient d’Allemagne, de France, de Grèce, d’Italie, de Yougoslavie, d’Autriche, des Pays-Bas, de Belgique, d’Espagne, du Luxembourg, de Pologne, d’Union soviétique, de Tchécoslovaquie et de Hongrie ; il y avait également plusieurs prisonniers juifs parmi eux. Le commandant du camp était Franz Kalteis, originaire de Vienne, qui avait été envoyé à Simmering depuis Mauthausen à l’initiative de l’organisation clandestine de résistance des prisonniers du camp de concentration. À la Saurerwerke également, une organisation clandestine de prisonniers s’est formée, composée de représentants de toutes les nations et de tous les courants (politiques) du camp. Elle a été mise en place et dirigée par Walter Ehlen (fonctionnaire de l’Association communiste allemande de la jeunesse).

    Travail forcé

    Avant l’Anschluss (annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie), l’usine Saurerwerke était spécialisée dans la fabrication de véhicules à chenilles et de camions et elle poursuivit sa production sous le régime nazi. Les prisonniers étaient uniquement affectés à la production de camions de transport de chars. Ils travaillaient dans le hall C de l’usine 2 (dont les fenêtres avaient été barricadées et où des murs supplémentaires avaient été construits). Les locaux de l’usine étant devenus trop petits, deux grandes salles situées au sous-sol du château voisin de Neugebäude furent également utilisées comme halls de production jusqu’en mars 1945. Les survivants rapportèrent plus tard qu’ils avaient souvent bénéficié de manifestations de solidarité de la part de travailleurs civils autrichiens et étrangers. À part cela, les conditions de travail étaient toutefois très dures. 40 prisonniers moururent dans le camp. Dix-sept autres ont perdu la vie dans le « camp infirmerie » après avoir été ramenés au Stalag de Mauthausen.

    Garde

    Le SS-Hauptsturmführer (chef d’assaut) Johann Gärtner était le commandant du camp ; le SS-Oberscharführer (chef d’escouade) Karl Kleine dirigeait le camp de détention préventive, et le SS-Oberscharführer Gerhard Wittkowski était le chef de service. Quatre officiers SS de Mauthausen, 46 sergents SS et 85 membres d’équipage SS étaient chargés de la garde des prisonniers.

    A la fin de la guerre à la fin mars 1945, l’Armée rouge venant de Hongrie, est en marche se rapprochant rapidement chaque jour davantage du camp. L’ordre est donné, comme dans tous les camps d’évacuer les détenus vers l’ouest entre fin mars et début avril, afin de les transférer dans un camp de prisonniers encore difficile à atteindre pour les troupes soviétiques.

    Franz Kalteis, prisonnier venant du camp de concentration de Mauthausen a, en tant que doyen du camp, assuré une rôle de représentation des prisonniers. Fin mars 1945, il lutta avec le commandant du camp, le SS-Hauptsturmführer Johann Gärtner, pour la vie de 190 prisonniers malades qui, selon un ordre central du commandant du camp de Mauthausen, devaient être assassinés avant l’évacuation des camps annexes. Franz Kalteis nous raconte ces heures :

    « Tard dans la soirée du dernier jour de mars, je fus convoqué chez le commandant du camp, Gärtner, où une discussion dramatique s’engagea.

    Gärtner, complètement désemparé, me demanda immédiatement combien de personnes étaient inaptes à la marche, c’est-à-dire malades. Comme je devinais facilement le contexte, j’exagérai le nombre et lui expliquai qu’environ 180 prisonniers ne seraient pas capables de supporter une longue marche à pied… À ce moment-là, j’expliquai calmement et sereinement à Gärtner que la guerre était perdue, soutenu par le grondement discret des canons. Je lui dis qu’en tant que Viennois, lui seul ne pouvait tuer près de 200 personnes ici, en pleine ville, sans que des milliers de témoins ne le tiennent responsable plus tard. Bref, je réussis à convaincre le commandant du camp d’accepter que les prisonniers souffrant de plaies aux pieds et autres maladies soient laissés sans gardes au camp. »

    Le 1er avril, des préparatifs furent entrepris pour l’évacuation du camp. Le lendemain, 1 276 prisonniers furent envoyés en marche d’évacuation en trois colonnes (dirigées par les SS-Oberscharführer Karl Kleine, Josef Plehar et Gerhard Wittkowski),. De Simmering, ils traversèrent Purkersdorf, St. Pölten, Man, Scheibbs, Gresten, Randegg et Seitenstetten jusqu’à Steyr. De nombreux prisonniers furent abattus par les SS pendant la marche et plusieurs moururent d’épuisement. 25 prisonniers réussirent à s’échapper. Le 23 avril 1945, 1 076 prisonniers arrivèrent au sous-camp de Steyr-Münichholz. Une semaine plus tard, le 30 avril, 497 d’entre eux furent transférés au Stalag de Mauthausen.

    190 prisonniers incapables de marcher furent abandonnés au camp de Saurer-Werke, parmi lesquels des prisonniers originaires d’Allemagne, de France, de Grèce, d’Italie, d’ex-Yougoslavie, des Pays-Bas, de Pologne, d’ex-Union soviétique, de République tchèque et de Hongrie. 33 d’entre eux étaient juifs. Ils furent libérés par les troupes soviétiques le 8 avril 1945. 

    Il est plus que vraisemblable que Frederic a fait partie de ces 190 prisonniers incapables de marcher dont le destin a failli basculer vers une fin tragique à la fin de la guerre. Libérés par l’armée russe qui au lieu de le rapatrier à l’ouest, les ont emmené vers l’est dans un périple à travers l’Europe (Autriche, Hongrie, Roumanie, Ukraine, Pologne) pour atteindre la Biélorussie.  

    On retrouve dans son carnet le départ de Vienne le 8 avril 1945 (tout en haut, écriture légement effacée).  Et puis, on a retrouvé une liste d’une trentaine de noms de lieux, qui étaient d’origine germanique, hongrois, roumains puis slave. Reconstituant cette liste sur googlemap, on s’aperçoit que cela constitue un chemin menant d’Autriche jusqu’en Biélorussie.  

    Durant les mois d’avril et mai 1945, ils font ce parcours en train et à pied d’après des témoignages d’autres camarades d’infortune ayant écrit leur périple. « Ils cueillent sur le bord de la route de l’oseille et des feuilles de frênes pour faire de la soupe. Ils sont dirigés à pied vers Budapest par les russes, leurs ballots dans des charrettes tirées par des bœufs. Mais dans cette capitale, ils furent livrés à eux-mêmes.Les officiers français prirent leurs soldats en main, disciplinés, en rang. Ils contactent les officiers russes qui leur indiquent une caserne où ils se reposent et se restaurent. Ensuite, ils prennent le train pour Odessa. »

    Il faut imaginer des nombreux transferts en train, à pied ou en camion vu l’état désastreux des infrastructures ferroviaires et routières à la sortie de la guerre.

     Dans son carnet toujours, on retrouve des étapes avec des dates  :Wien le 8 avril, Sopron (Hongrie) arrivé le 16 avril et reparti le 29 avril. Szombathely (Hongrie), Sarvar, (Hongrie), Celldömölk (Hongrie), Veszprém (Hongrie) arrivé le 2 mai reparti le 20 mai, Székesfehérvár  (Hongrie), Martonvásár  (Hongrie), Budapest,

    “Királyháza (Hongrie ou Ukraine?) 4 jours du 28 au 31 (mai).

    Passé dans les Karpatte le samedi au dimanche au midi, le lundi, on a passé un vrai désert, arrivée le 6 juin à  Starie Dorogi (Staryye Dorogi) Staryya Darohi – Wikipedia

    Nous n’avons pas retrouvé de document écrit sur son rapatriement une fois la guerre terminée. Frédéric comme tous les anciens combattants ne parlaient pas ou peu de ce qui avaient été leurs épreuves, en tant cas, rarement à leurs enfants. Cela a été une hypothèse depuis la découverte de son carnet en 2021 jusqu’à une rencontre fortuite en août 2025 avec Odile HUET dans son domicile (93 ans, épouse de son fils Réné), qui se souvenait parfaitement que Frédéric a déclaré être revenu de Russie. Odile a indiqué qu’il est revenu bien plus tard que les autres prisonniers, après la fête de célébration du retour des prisonniers dans son canton et que sa famille le croyait disparu. 

    L’armée russe a fait subir cette épreuve à des dizaines de milliers de prisonniers occidentaux.

    Il reste encore une part de doute sur le chemin du retour de Minsk vers la France. D’après le carnet, il semblerait qu’il ait été rapatrié par la traversée de la Pologne, l’Allemagne (en passant par Berlin) et Belgique contrairement à une grande partie des prisonniers rapatriée par voie maritime d’Odessa en Ukraine vers Marseille. Beaucoup de récits nous disent que les prisonniers “libérés” par la Russes ont d’abord été envoyés vers Odessa, dans un premier temps pour des rapatriements en bateaux. Puis il y a eu changement : pour beaucoup à mi-parcours quelque part en Ukraine, ils ont fait demi-tour pour repartir vers Berlin …puis Magdebourg…puis la Belgique. Est toujours en cours une recherche d’une trace, d’un document témoignant de ce périple long et certainement plein d’embûches à travers une Europe complétement dévastée.

    Primo Levi, juif italien et écrivain de nombreuses ouvrages, le raconte dans son œuvre autobiographique, la Trêve que je vous conseille. Le groupe composé principalement d’Italiens et de Roumains, auquel il appartenait est arrivé en Juillet, juste aprés le départ d’un groupe de Français (dont faisait partie Frédéric).

    « Although liberated on 27 January 1945, Levi did not reach Turin until 19 October 1945. After spending some time in a Soviet camp for former concentration camp inmates, he embarked on an arduous journey home in the company of former Italian prisoners of war who had been part of the Italian Army in Russia. The long railway journey home to Turin took him on a circuitous route from Poland, through Belarus, Ukraine, Romania, Hungary, Austria, and Germany – an arduous journey described especially in his 1963 work The Truce – noting the millions of displaced people on the roads and trains throughout Europe in that period”

    Les prisonniers de guerre français sont bien souvent les grands oubliés de l’histoire, le drame etles souffrances physiques et morales de ces hommes qui ont perdu cinq ans de leur vie et pour certains la vie. On mesure la résonance que le sort des prisonniers a pu avoir sur une majorité de français, dont la vie fut tout autant bouleversée, surajoutant aux difficultés de l’occupation. Presque toutes les familles sont touchées directement ou indirectement, leur absence va peser sur la vie économique, la vie familiale, laisser des femmes et des enfants face aux difficultés du quotidien…